jeudi 14 février 2008

STRATÉGIE - La Russie et la Chine proposent un traité de désarmement de l'espace - Laurent Zecchini

Le Monde - International, jeudi, 14 février 2008, p. 6

Le projet de traité sur « le non-déploiement des armes dans l'espace et le non-emploi de la force contre les objets cosmiques », présenté par la Russie et la Chine, mardi 12 février, à Genève, dans le cadre de la conférence annuelle du désarmement, n'a que peu de chances d'aboutir. Depuis plus d'une dizaine d'années, les deux pays ont alternativement avancé une telle proposition, avec souvent le soutien l'un de l'autre.

C'est en revanche la première fois que Moscou et Pékin s'associent officiellement pour prendre à témoin la communauté internationale de leurs bonnes intentions s'agissant de la nécessité d'interdire l' « arsenalisation » de l'espace (la « militarisation » de l'espace, elle, existe depuis que des satellites militaires ont été placés en orbite). Car tel est bien l'objet premier de cette initiative qui souligne, d'autre part, l'accroissement de la coopération stratégique russo-chinoise, récemment illustrée par de spectaculaires manoeuvres militaires communes.

Car, sur le fond, Pékin et Moscou connaissent le refus - maintes fois réitéré - des Etats-Unis à tout traité international qui limiterait leur « liberté d'action » dans l'espace. Si la Maison Blanche a officiellement rejeté, mardi, l'initiative présentée à Genève par le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, la réaction américaine est sans surprise : le 24 janvier, Donald Mahley, responsable au département d'Etat pour les questions de sécurité internationale et de non-prolifération, avait insisté sur le double langage de la Chine, qui a procédé à un test d'arme antisatellite le 11 janvier 2007.

Ce tir, qui a détruit un satellite météo chinois obsolète, « offre une puissante raison d'être sceptique quant aux efforts de la Chine pour promouvoir un traité sur la prévention d'une course aux armements dans l'espace (Paros) », avait déclaré M. Mahley, en rappelant le refus des Etats-Unis « de négocier des contraintes et limitations à leur droit de développer, tester et déployer des capacités dans l'espace ». Les arguments de Washington sont notamment basés sur l'impossibilité de définir une « arme de l'espace », et de vérifier que telle ou telle nation ne dissimule pas, sous le couvert de son programme spatial, un satellite tueur.

« L'existence de programmes et activités spatiales opaques de la Chine complique toute discussion d'une proposition sino-russe de traité et renforce l'opposition des Etats-Unis à une telle négociation », avait ajouté Donald Mahley. Les Américains rappellent que le tir antisatellite chinois a engendré plus de 2 600 débris spatiaux aisément repérables et quelque 100 000 débris trop petits pour être détectés. Ces débris, qui constituent 40 % de tous ceux situés en orbite basse, posent un réel danger pour les satellites commerciaux.

AVANCE AMÉRICAINE

L'insistance de Moscou et de Pékin peut se comprendre, dans la mesure où l'utilisation de l'espace n'est régie que par le traité de 1967 qui prohibe le stationnement d'armes de destruction massive dans l'espace, sans interdire formellement la destruction de satellites. Mais Moscou et Pékin sont surtout préoccupés par la formidable avance prise par les Etats-Unis en matière de défense antimissile, laquelle fait notamment appel à des missiles qui frappent leur cible dans l'espace. La Russie est foncièrement opposée au projet américain d'installer un troisième site antimissile en Pologne et en République tchèque, et conditionne son attitude sur d'autres dossiers (par exemple l'indépendance du Kosovo) à son abandon par Washington.

A Genève, M. Lavrov a mis en garde contre « une nouvelle spirale dans la course aux armements, à la fois dans l'espace et sur terre ». Cette remarque illustre les préoccupations russes (et chinoises) : la Russie a notamment perdu la guerre froide parce qu'elle était incapable de suivre le rythme de la course aux armements engagée avec l'Amérique, et elle ne tient pas à commettre à nouveau une telle erreur.

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