samedi 22 mars 2008

Il faut aider la Chine - Alexandre Adler

Le Figaro, no. 19795 - Le Figaro, samedi, 22 mars 2008, p. 15

Faisons un rêve. Un mauvais rêve. Celui où le cercle vertueux de la Chine s'interrompt et commence même à se transformer en son contraire, dans les grandes lignes, au moment où vont se tenir ces Jeux olympiques de Pékin, tant attendus. Une partie du cauchemar, nous l'avons d'ailleurs déjà entrevu avec les violences militaires qui ont servi à réprimer l'émeute populaire tibétaine de Lhassa. Mais, une lueur perçue de la lointaine Wall Street, à la tonalité trouble, a également commencé à se manifester.

La Réserve fédérale a, en effet, accordé la priorité au regonflage d'un système financier en déroute en injectant plusieurs centaines de milliards de dollars dans l'économie américaine. On comprend, cette fois-ci, le point de vue des autorités américaines : de la même manière qu'en 2001, elles ont choisi le refus de la purge et la priorité à la croissance et à l'emploi, quitte à accepter une nouvelle spirale descendante du dollar. Parvenue à ce carrefour très difficile, l'économie américaine va se contracter et, secondairement, connaître de nouvelles difficultés de crédit et un enchérissement spectaculaire de sa facture énergétique.

Pas question pour les autorités monétaires d'enrayer ces tendances en remontant les taux d'intérêt de base, au moins avant les élections présidentielles de novembre 2008. Cela donne tout le temps à l'économie réelle pour ralentir et, à l'intérieur de ce ralentissement, pour préférer des produits américains assez bon marché à des produits étrangers de plus en plus chers. Le coût est certes rude pour les producteurs de bordeaux comme pour les exportateurs européens de high-tech, mais il est beaucoup plus dangereux s'agissant de la Chine. On a, il est vrai, découvert que l'économie chinoise assurait sa croissance vertigineuse en s'appuyant, de plus en plus, sur la dynamique d'un marché intérieur en expansion constante. Mais les surplus commerciaux réalisés pour deux bons tiers sur l'ensemble nord-américain demeurent plus que jamais nécessaires aux excédents de balance commerciale qui financent des investissements de plus en plus lourds, hors d'un système bancaire chinois qui craque de toutes parts.

Ajoutons à ce tableau déjà noir, l'évidence d'une poussée inflationniste de plus en plus mal contenue. Tout y conspire : la bulle immobilière qui s'est formée dans les plus grandes villes, la hausse des salaires nominaux qui enchérit considérablement le coût des produits prioritaires à l'exportation, la nécessité, pour utiliser la vaste main-d'oeuvre à bon marché à l'intérieur, de réaliser de très importants travaux d'infrastructures, tout cela, qui est déjà suffisamment lourd, s'ajoute à un embarras que la Chine a créé elle-même. En effet, son appétit dévorant dans le domaine des matières premières et des hydrocarbures, est le résultat non seulement accéléré, mais aussi de sa faible productivité industrielle.

En gros, si la Chine pouvait atteindre le niveau de Taïwan, l'ensemble des matières premières mondiales verrait son prix baisser d'au moins un tiers. Ces difficultés, si elles réagissent à l'unisson les unes sur les autres, nous conduisent à un ralentissement majeur de l'économie. Il n'y a officiellement rien de tragique à ce type de renversement de cycles. Mais le président Hu Jintao, comme tous les leaders politiques, aura bien du mal à tomber d'accord avec la théorie économique. On se souvient de la démonstration de Michelet selon lequel la Révolution française résultait de la combinaison d'une forte croissance et, dans le même temps, d'une crise imprévue des subsistances qui menaçaient, à court terme, les résultats de cette toute nouvelle prospérité et paralysaient l'appareil fiscal vermoulu de l'Ancien Régime.

Si le pouvoir politique chinois doit supprimer trop vite la drogue dure de l'hypercroissance, ne casse-t-il pas tous les mécanismes de la paix sociale et de l'unité du Parti communiste auxquels il est parvenu depuis environ dix ans ? C'est ici que l'on peut craindre un emballement nationaliste, protectionniste, et répressif d'un appareil politique mal préparé aux réformes démocratiques. Terrorisés par le précédent Gorbatchev, les dirigeants chinois risquent de construire, à marche forcée, un empire autarcique avec la Corée et l'Asie du Sud-Est, poursuivre une chasse néocoloniale à des bassins protégés de ressources au Moyen-Orient, en Afrique, et peut-être même au Venezuela. Enfin, la situation du Tibet, pourtant facile à résoudre avec un dalaï-lama qui obstinément se borne à demander l'autonomie de son pays dans un cadre chinois, ne pourra que s'aggraver.

Finissons le cauchemar, la probabilité pour que tous ces facteurs négatifs s'additionnent, comme dans une thrombose, n'est pas la plus grande mais la nécessité contre-intuitive d'encourager et d'aider le géant chinois, au moment de sa plus grande force apparente, s'impose à toute la communauté internationale et, tout particulièrement, aux États-Unis, au Japon et à l'Europe.

«« On peut craindre l'emballement nationaliste d'un appareil politique mal préparé aux réformes démocratiques »»

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