jeudi 13 mars 2008

Le ski, une nouvelle passion chinoise - Brice Pedroletti et Bruno Philip

Le Monde - Page Trois, jeudi, 13 mars 2008, p. 3
En quelques années, Pékin est devenue la capitale du ski en Chine. Dix stations situées à moins de 80 km fonctionnent toutes avec de la neige artificielle. Elles sont assaillies de skieurs le week-end. En quelques années à peine, la capitale chinoise est devenue celle du ski en Chine : on compte dix stations situées à moins de 80 km de la capitale - la plus proche est à 35 km - et une demi-douzaine d'autres dans la province voisine du Hebei.

Vous savez faire du ski ? Vous voulez un professeur ? Je peux vous apprendre... " A Nanshan, station de ski au nord de Pékin, les moniteurs ont le bagou des vendeurs à la sauvette : la leçon de ski est à 100 yuans (10 euros) l'heure, mais seuls 10 yuans vont dans leur poche. " On ne trouve pas toujours de clients, beaucoup veulent essayer par eux-mêmes ! ", se plaint Wang Sai-ying, 26 ans, le bonnet enfoncé sur les oreilles. Comme la plupart des 160 moniteurs de la station, elle a appris le ski dans un collège spécialisé du nord-est de la Chine, dont elle est originaire.

Si la pratique du ski y est là-bas un peu plus ancienne, c'est pourtant à Pékin qu'elle trouve un emploi. En quelques années à peine, la capitale chinoise est devenue celle du ski en Chine : on compte dix stations situées à moins de 80 km de la capitale - la plus proche est à 35 km - et une demi-douzaine d'autres dans la province voisine du Hebei.

Aménagées sur les collines au nord et à l'est de la capitale, fonctionnant toutes avec de la neige artificielle - Pékin reçoit très peu de précipitations en hiver -, elles sont assaillies de skieurs le week-end : un samedi de début janvier, la station de Yugang, qui a ouvert en 2006, a vu affluer 8 000 visiteurs, près de 2 000 de plus que sa capacité de location en matériel. Réalisant qu'ils ne pourraient skier, les mécontents entreprirent, par dépit, de bloquer les remontées mécaniques. La police dut intervenir pour que la station les rembourse.

A Nanshan, l'une des premières stations construites autour de Pékin, en 2001, trois télésièges donnent accès à une demi-douzaine de pistes, dont une " noire ", sur la plus haute des collines. Un jeune pisteur décourage les skieurs manquant d'expérience de s'y engager : " Il y en a beaucoup qui ne se rendent pas compte de la pente, et ils restent coincés ! ", dit-il. La dénivelée a beau n'être guère supérieure à 200 mètres, on trouve aussi, à Nanshan, un champ de bosses et une zone de snowboard (avec tube, rampes et tremplins), tandis que les amateurs de sensations fortes peuvent s'essayer au deltaplane (suspendu à un câble) ou filer sur une luge, en hurlant, le long d'un toboggan de 1 300 mètres qui descend du haut de la station - pour 3 euros. Un grillage délimite les pistes enneigées, les séparant des collines terreuses qui les entourent et d'une ferme avec poules et cochons.

Ce " parc de neige ", à l'entrée duquel tout visiteur doit débourser 20 yuans (2 euros), est la création d'un entrepreneur privé, Lu Jian : coiffé d'une casquette de base-ball qui porte le nom de La Plagne, ce quinquagénaire fut dans une autre vie haut fonctionnaire à Zhongnanhai, la cité interdite du pouvoir chinois. Lors d'une mission officielle au Canada au début des années 1990, il découvre Whistler, la station des Rocheuses canadiennes. L'idée germe dans sa tête d'introduire le ski en Chine. Envoyé en formation à Oxford, il est nommé à son retour en Chine président de Cifco (China International Futures), le géant public chargé d'acheter des matières premières sur les marchés mondiaux.

En 1996, il convaincra son employeur d'investir dans la station de Yabuli, dans le Heilongjiang (Mandchourie) : " Yabuli fonctionnait comme une entreprise d'Etat et n'a jamais vraiment été rentable. Et puis c'est très à l'écart, ça n'a pas pu devenir une destination de masse ", raconte-t-il dans l'un des chalets en bois qui sert de restaurant à Nanshan. A l'époque, la Chine compte à peine 500 skieurs, pour la plupart des professionnels - contre 3 millions à 5 millions de " sorties de ski " estimées aujourd'hui.

Pour Nanshan, M. Lu a rassemblé des fonds privés et affirme qu'il a voulu " prouver que le ski, ça peut marcher en Chine ". Sa station avait attiré 60 000 skieurs l'année de son lancement et 120 000 la saison dernière. Cette année, il table sur une fréquentation de 130 000 à 140 000 skieurs - au point d'avoir décidé de diminuer d'un tiers son budget publicitaire.

Nanshan et les autres stations de Pékin sont visiblement destinées à un public urbain aisé. " Cela reste un loisir pour la classe moyenne supérieure, estime M. Lu. On en voit arriver avec de grosses voitures, il y a des gens qui ont réussi dans les affaires. " Il montre au loin un homme de dos, en anorak et bonnet : " Le type, là-bas, c'est l'acteur Xia Yu. Il y a pas mal de gens du cinéma, l'actrice Zhang Ziyi l'héroïne de Tigre et Dragon - aussi vient de temps en temps. " Le dépliant de la station annonce une zone d'accueil VIP, des restaurants parmi les meilleurs, et des chambres " avec cheminée " dans un chalet en bois. En réalité, le service est bas de gamme, et les fausses cheminées électriques ont du mal à réchauffer des pièces glaciales : qu'importe, à trois quarts d'heure de Pékin, on vient à Nanshan pour skier.

Surtout, tout est fait pour simplifier la vie des nombreux débutants (60 % des skieurs le week-end) qui n'ont ni matériel ni tenue : après avoir réglé son forfait et payé sa caution, on se rend aux guichets qui distribuent skis, chaussures, anorak, gants, et même casque et masque - pour une quinzaine d'euros (en semaine, et si l'on a réservé) -, soit à peine le double, en moyenne, du tarif pratiqué par le moindre site touristique en Chine. Le week-end, sans réservation, il peut toutefois en coûter jusqu'à 36 euros.

La station, qui offre 6 000 équipements, tourne alors à plein. On croise de tout au pied des pistes, des bandes de jeunes en goguette qui partagent un moniteur, aux étudiants sud-coréens ou japonais, accros au snowboard, en passant par les couples avec leur enfant unique, mais aussi des groupes venus en comité d'entreprise, tous affublés de l'anorak de Nanshan, et un nombre croissant de passionnés.

" Le ski, c'est complètement nouveau, et ça me plaît. Si on se débrouille bien, ce n'est pas très cher. Il y a des forums sur Internet où l'on réserve sa place dans un minibus, ça coûte 3 euros ", dit Wang, le visage caché derrière un passe-montagne bleu. Débutant, il n'a pas voulu prendre de leçons, mais apprend en regardant des vidéos sur Internet. Il vient pour la troisième fois et s'en tient aux pistes vertes, qu'il dévale droit comme un I. Les Chinois les plus fortunés vont ailleurs : le tiers des 300 chambres du Club Med hiver de Sapporo, au Japon, sont désormais occupées par des Chinois, la plupart en provenance de la région de Pékin, selon une responsable de la société à Shanghaï - pour un tarif de 1 000 euros par semaine.

Si le boom des stations de ski a fait baisser les prix, il suscite des polémiques de plus en plus vives parmi les défenseurs de l'environnement, rapportait le China Daily début février : Pékin manque cruellement d'eau, et la neige artificielle y apparaît comme un grand luxe. Les autorités municipales ont donc imposé aux opérateurs toutes sortes de normes pour le recyclage de la neige. Et décrété un moratoire sur la construction de stations autour de Pékin : leur nombre ne doit pas dépasser dix.

Bruno Philip et Brice Pedroletti

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