lundi 26 mai 2008

En Angola, son premier partenaire africain, la Chine essuie plusieurs revers - Serge Michel

Le Monde - International, samedi, 24 mai 2008, p. 6
La plupart des grands projets financés et dirigés par une mystérieuse structure chinoise, le China International Fund (CIF), sont arrêtés. Luanda a annulé des contrats. Quelques tablettes d'antipaludéen dans la poussière, c'est tout ce qu'il reste du camp chinois de Chimbassi, près de Cubal, sur le plateau angolais.

Sinon, la place est nette : les légumes chinois du potager ont été arrachés, les cabanes de chantier qui abritaient plusieurs centaines d'ouvriers ont été démontées et des dizaines de bulldozers et de camions ont disparu.

Au centre de l'immense terre-plein, Antonio Lopes, chauffeur de taxi à Cubal, n'en revient pas : « Il y a deux semaines, je leur amenais encore des passagers ! » Pour en avoir le coeur net, il remonte dans sa voiture et pousse jusqu'à la voie ferrée, quelques centaines de mètres plus loin, envahie par les broussailles.

Aucune trace des Chinois, ni de leurs travaux. C'est pourtant bien la ligne Benguela-Luau, inaugurée en 1928 par les colons portugais pour rallier la frontière de l'ex-Zaïre à l'Atlantique et détruite par les vingt-sept ans de guerre civile qui ont suivi l'indépendance portugaise en 1975. Une ligne vitale pour le centre agricole du pays, aujourd'hui dépeuplé et paralysé par l'absence de routes.

En janvier 2006, le China International Fund (CIF), un organisme qui coordonne tous les grands travaux chinois en Angola, annonçait que la ligne serait entièrement reconstruite pour l'été 2007. Une journée de route le long des rails suffit pourtant à s'apercevoir que les travaux n'ont même pas commencé.

Pour comprendre ce qu'il se passe, inutile d'interroger le ministère des transports à Luanda, qui semble observer de strictes consignes de silence. André Luís Brandão, le ministre, a récemment été congédié pour ses piètres résultats : durant son mandat, la compagnie aérienne nationale, TAAG, s'est vu interdire de se poser en Europe alors que la première pierre du nouvel aéroport de Luanda, qui devait être le plus grand d'Afrique avec une capacité annuelle de 13 millions de passagers, avait été posée en grande pompe à la fin 2004, mais n'a été suivie par aucune autre. Là encore, les travaux devaient être dirigés et financés par le CIF, tout aussi muet. A Luanda, une secrétaire affirme que la personne autorisée à répondre à la presse est à Hongkong, mais on apprend qu'elle se trouve à Luanda.

C'est finalement un diplomate chinois, sous le sceau de l'anonymat dans l'arrière-salle de l'un des six restaurants chinois de Luanda, qui lâchera quelques bribes d'explication. « Les gens du CIF sont en relation avec les plus hautes sphères chinoises et angolaises, dit-il. Ils bénéficient ici de privilèges inouïs et nous avons de la peine à les atteindre. On dirait qu'aucun de leurs trente projets ne sortira jamais de terre ! Ils ont arrêté de payer leurs sous-traitants, on ne sait pas pourquoi. Tout le monde est fâché. A cause d'eux, il y a beaucoup de malentendus entre Pékin et Luan da. »

Le CIF est sans doute la structure la plus mystérieuse du dispositif chinois en Afrique. Censé gérer les 7 à 10 milliards de dollars de crédits chinois en Angola et recevoir les remboursements en pétrole, il a pour seul interlocuteur le Cabinet national de reconstruction (CNR), dirigé par le général Helder Vieira Dias, dit « Kopelipa ».

Cet homme, considéré comme possible successeur du président Jose Eduardo dos Santos, a récemment écarté un rival, le général Fernando Garcia Miala, qui était à la tête des services secrets extérieurs avant d'être accusé de complot contre la présidence. Lors du procès Miala, en septembre 2007, des proches de l'accusé ont laissé entendre que 2 milliards de dollars de crédit chinois s'étaient « évaporés » des caisses du CNR.

Pour Pékin, les difficultés du CIF représentent un revers de taille. L'Angola est en effet le premier fournisseur de pétrole à la Chine, ainsi que le pays d'Afrique pour lequel le plus grand effort financier a été consenti, à coup de tranches de 2 milliards de dollars dès 2004. A l'époque, la générosité chinoise tranchait avec la rigidité des Occidentaux, qui refusèrent, en 2003, d'organiser une conférence des donateurs pour reconstruire le pays tant que ce dernier ne donnait pas de garanties de bonne gouvernance.

Depuis, grâce à l'explosion du prix du baril et au doublement de sa production, les revenus pétroliers de l'Angola sont passés de 7 à 34 milliards de dollars par an, ce qui a permis de relativiser l'apport chinois et de chercher à renégocier certains contrats. Pour montrer sa détermination, Luanda a commencé par annuler purement et simplement un projet chinois de raffinerie à Lobito, pour 3 milliards de dollars, qui sera sans doute confié aux Américains de KBR.

Les diplomates occidentaux à Luanda ne boudent pas leur plaisir de voir la Chine trébucher en Angola, et c'est à celui qui organisera la plus rapide, la plus grande délégation commerciale ou politique. L'un d'eux s'exclame : « A nos amis angolais, on dit : «C'est super votre petite promenade avec les Chinois. Amusez-vous bien. Mais quand vous voudrez jouer dans la cour des grands, payez vos dettes et revenez nous voir». » Et c'est ce qui est en train de se passer : Luanda a récemment envoyé un chèque de 3 milliards de dollars au Club de Paris (un groupe informel de créanciers publics dont dix-neuf pays développés sont membres permanents) pour une dette totale trois fois plus importante.

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