jeudi 29 mai 2008

Engouement planétaire pour les gratte-ciel - Isabelle Rey-Lefebvre

Le Monde - Focus, mercredi, 28 mai 2008, p. 23
Pudong, le quartier d'affaires de Shanghaï, en Chine, veut concurrencer Manhattan ou Chicago et se hérisse pour cela de tours comme le Financial Center (492 m), du promoteur japonais Mori. Moscow City, le nouveau centre d'affaires de Moscou, a choisi comme emblèmes la tour de la Fédération (448 m) et la Russia Tower (612 m), de Norman Foster, destinée à être la plus haute d'Europe.

LES VILLES et les quartiers d'affaires du monde entier se livrent à une compétition féroce pour attirer les sièges sociaux des grandes sociétés et les fortunes. Créer un gratte-ciel ou un quartier de tours à l'architecture spectaculaire, servie par des prouesses techniques, est une démarche marketing assumée pour vendre un lieu avec bureaux et, de plus en plus, appartements, hôtels et commerces. Les autorités peuvent valoriser des terrains, faire monter les prix et percevoir taxes et impôts correspondants.

Signe des temps, de plus en plus de tours ne portent pas le nom des sociétés qui les ont bâties ou occupées, mais affichent la nouvelle prospérité de leur ville ou de leur pays (Russia Tower, Burj Dubai, Shanghai Financial Center, Chicago Spire...) ou le nom de symboles (Freedom Tower à New York, tours Phare ou Signal à La Défense, Pinnacle à Londres).

La Défense, à Paris, s'offre pour son cinquantenaire la tour Signal qui, selon le cahier des charges, veut « adresser au monde un geste architectural majeur, porteur de vigueur créatrice, d'audace formelle et de modernité technologique ».

Pudong, le quartier d'affaires de Shanghaï, en Chine, veut concurrencer Manhattan ou Chicago et se hérisse pour cela de tours comme le Financial Center (492 m), du promoteur japonais Mori. Moscow City, le nouveau centre d'affaires de Moscou, a choisi comme emblèmes la tour de la Fédération (448 m) et la Russia Tower (612 m), de Norman Foster, destinée à être la plus haute d'Europe.

D'autres pays d'Europe de l'Est affichent également leur nouvelle vitalité économique. La foncière Orco a fait appel à Daniel Libeskind, architecte américain d'origine polonaise, pour ériger la tour Zlota (192 m), qui comprendra des appartements, au coeur de Varsovie (Pologne).

Sur les 877 projets de plus de 150 m de haut recensés en 2007 par Georges Binder, un passionné qui compile depuis vingt ans ces informations, l'Asie, avec 59 % des projets en cours, reste la terre de prédilection de ces monuments mais les pays du Golfe, Dubaï en tête, en accueillent désormais 23 %. Il y a dix ans, ils n'apparaissaient pas. La compétition en gigantisme est telle que des promoteurs comme Emaar, avec sa tour Burj Dubai (Emirats arabes unis), tiennent secrète la hauteur finale, 560 m au début, plus de 800 m actuellement. Son concurrent, Nakheel, envisage, également à Dubaï, un géant de 1 200 m de haut, qui pourrait être dépassé par un projet d'un mile (1 600 m) de hauteur, à Djedda, en Arabie saoudite !

Les Etats-Unis renouent pour leur part avec une tradition : siège social du New York Times (319 m, mât compris) à Manhattan ou Freedom Tower (541 m), sur le site des Twin Towers. Chicago s'offre la plus haute tour du pays, conçue par l'architecte espagnol Santiago Calatrava, la Chicago Spire (609 m), torsade élancée de 360 degrés, dont les 1 193 appartements de luxe se vendent entre 750 000 et 40 millions de dollars ! Les promoteurs ne rivalisent pas seulement en hauteur, mais aussi d'audace architecturale et en prouesses techniques. Le nouveau siège de la télévision chinoise (CCTV), à Pékin, conçu par le Néerlandais Rem Koolhaas et l'Allemand Ole Scheeren, comporte ainsi deux bâtiments penchés, reliés au sol et à 230 m de hauteur par des ponts en « L », détournant l'idée d'une tour uniquement verticale.

LA VIEILLE EUROPE DANS LA COURSE

La vieille Europe multiplie elle aussi les projets. A Londres, sept projets majeurs sont à l'étude ou en construction. La tour Pinnacle ouvrira son rez-de-chaussée aux passants, sorte d'espace public couvert et, innovation radicale mais invisible, ne comptera que six places de parking réservées aux handicapés, mais 540 emplacements de vélos, afin de réduire encore le trafic automobile.

Bruxelles réhabilite ses tours anciennes et en crée de nouvelles, comme le projet résidentiel Premium. Barcelone s'offre le lumineux « missile » Agbar de Jean Nouvel (2005); Madrid, la tour Repsol de Foster (2008). En France, hormis Paris, d'autres villes rêvent aussi de hauteur. Lyon, jusqu'ici dotée d'une unique tour familièrement baptisée le « Crayon » (1977), va construire Oxygène (115 m), d'ici à 2010, et Incity (200 m), d'ici à 2012. Marseille devrait s'embellir de la tour de la compagnie de transports maritimes CMA CGM (147 m), dessinée par l'architecte anglo-irakienne Zaha Hadid, et des trois nouvelles tours du promoteur Constructa, confiées aux architectes Jean Nouvel, Yves Lion, Jean-Baptiste Pietri et Roland Carta.

« On peut comprendre que l'Asie et les pays émergents veuillent afficher leur vitalité économique et se mesurer aux Etats-Unis. On comprend moins que l'Europe, qui a d'autres atouts, notamment urbains, souhaite participer à la course, alors que l'idée de tour est, selon moi, du XXe siècle, pas du XXIe, où nous devons plutôt nous préoccuper de développement durable », s'interroge Françoise Fromonot, architecte, enseignante et cofondatrice de la revue Criticat . « Ces tours, dit-elle encore, sont antiécologiques, même si on s'évertue à résoudre les problèmes qu'elles posent de par leur nature même. »

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