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MALOVIC Dorian
Gauthier ne se prend pas pour un héros. À ses yeux, il a simplement tenté l'expérience chinoise. Seul, en « aventurier » ouvert à tout, il s'est installé au coeur de la Chine, dans la province du Henan. Il ne parlait pas un mot de chinois, n'avait jamais imaginé débarquer aux confins de la campagne chinoise dans une capitale, Zhengzhou, où vivaient seulement quatre Occidentaux. Six ans après, Gauthier d'Ersu, 31 ans, nage comme un poisson dans les eaux tourmentées d'une Chine en pleine explosion économique. « Lorsque je rentre en France pour quelques jours, tout le monde est impressionné : "Quel courage !", s'ébahissent les gens, comme si je vivais au fin fond du désert, sans rien, démuni et isolé... Mais moi, je n'ai pas la sensation d'en avoir bavé tant que ça, ou d'avoir fait des sacrifices démesurés. »
Gauthier ne joue pas les faux modestes. Là où d'autres pourraient raconter des histoires exotiques et fascinantes pour se gonfler d'orgueil, le jeune diplômé de l'École internationale de commerce et de développement de Lyon (EICD), arrivé à Zhengzhou en 2002 pour un stage de six mois dans une PME d'import-export, a déjà la sagesse de celui qui a su observer, expérimenter et vivre les choses de l'intérieur. Devant un jus de fruit près d'un lac artificiel sorti de terre il y a quelques mois dans la nouvelle zone de développement à l'est de la ville, Gauthier parle de son expérience : « Avec le recul, je reconnais que les débuts ont été très difficiles ici, mais en même temps, j'ai voyagé dans toute la Chine, du Xinjiang musulman au Guangxi des minorités... Ce que je n'imaginais pas du tout possible avant de quitter la France. Je m'attendais à un pays sous-développé et j'avais quelques appréhensions. » Et de regarder avec un sourire, autour de lui, les gratte-ciel, le palais des expositions, le musée flambant neufs. « Toute cette zone n'existait pas lorsque je suis arrivé à Zhengzhou, soupire Gauthier, un brin admiratif, et j'ai la sensation d'être au coeur d'un processus plein d'énergie, d'ambition, d'espoir ! »
Pour ceux qui seraient tentés de se lancer dans les « affaires » en Chine, Gauthier a quelques conseils très précis. « Décoder les comportements des Chinois, dans la vie quotidienne comme dans le commerce, demande du temps, une constance dans les relations et de l'humilité, assure-t-il. En réalité, c'est exactement l'inverse de ce qu'on nous apprend dans nos écoles. » S'adapter plutôt que d'imposer un modèle qu'on imagine universel. Et de raconter une anecdote illustrant son propos : « Pendant des mois et des mois, j'ai proposé mes produits (des peaux) à un client, encore et encore, mais rien, jamais de réponse positive... Et puis, un jour, j'ai reçu un coup de fil de sa part pour une énorme commande. Je n'ai rien compris. Il est resté un de mes meilleurs clients. » Un Occidental se fait immanquablement jauger. Il est décortiqué de loin. On l'observe, le juge et une fois qu'il est accepté, « ça se déclenche et on peut décoller ». Encore faut-il tenir la distance !
« Une énorme disponibilité est indispensable, si on veut que les affaires marchent sur le long terme, ajoute Gauthier. Ici, on ne fait pas les 35 heures, pas de RTT, pas de pointeuse, je serais plus proche des 80 heures par semaine, du matin jusqu'au soir minuit ou une heure du matin. » Il lui est arrivé de recevoir un coup de téléphone à 23 heures d'un ami chinois qui voulait lui commander des peaux, lesquelles sont tannées dans les villages de la campagne où vivent les Huis, musulmans chinois. « Il m'a demandé si on pouvait se voir tout de suite au restaurant », raconte ce Français qui s'est lancé dans la langue chinoise avec ses jeunes gardiens d'immeuble, pas pour signer un contrat, simplement « pour entretenir des relations, discuter, échanger, rire, se connaître mieux ».
Souplesse et disponibilité entraînent progressivement une connaissance profonde de l'environnement, la constitution d'un réseau de relations dans tous les secteurs de la société. « Maintenant je connais toutes sortes de gens, commerçants, hommes d'affaires, hauts fonctionnaires, mafieux même. C'est indispensable en Chine aujourd'hui, car tout le monde fonctionne sur ce mode-là, opportuniste, pragmatique ; tout le monde peut servir un jour ou l'autre à tout le monde. On se connaît, on se rend des services. Le système chinois n'est pas encore rigidifié. Les lois existent, mais la société civile et le monde des affaires les contournent pour que ça marche. » Aux antipodes du système occidental où tout est codifié. « On peut tout faire ici, travailler nuit et jour sans patron sur le dos. Je me sens très bien à Zhengzhou, loin des métropoles de la côte comme Shanghaï ou Chenzhen où je me rends de temps en temps, mais je suis heureux de rentrer ici où il n'y a pas d'Occidentaux. En réalité, la Chine nous donne une chance formidable de nous épanouir dans des aventures que nous ne pourrions même pas envisager en Europe. » Autonome sur le plan de la langue, ayant pris ses marques depuis près de deux ans, cet aventurier solitaire s'épanouit dans ce milieu chinois « chaleureux lorsqu'on sait s'adapter ».
À la question de savoir ce qui est le plus difficile pour lui, Gauthier avance immédiatement les problèmes de santé : « Je suis sans filet ici, il ne faut pas tomber gravement malade à Zhengzhou. Mais si tu restes isolé dans ton coin, tu es perdu, d'où l'impératif du réseau chinois. Sans les Chinois, on n'est rien. Eux, ils savent, il faut les écouter, leur faire confiance pour trouver les bons repères. Maintenant, je connais un bon médecin dans la ville et même un bon dentiste. » Dans ces conditions, ne parlez pas à Gauthier d'un prochain retour en France. Dans sa province du Henan, il a découvert de nouveaux « potentiels », comme on dit dans le jargon commercial. « Cette province offre toutes les possibilités de fabriquer ce qui se fait sur la côte, mais trois fois moins cher, sourit-il. C'est le moment de prospecter à l'intérieur de la Chine, si on veut garder des prix très bas. Sur la côte, ce n'est plus rentable. » Gauthier d'Ersu a plusieurs longueurs d'avance sur ses concurrents.
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