vendredi 16 mai 2008

Enquête sur les défauts de construction des écoles du Sichuan

Le Monde - International, samedi, 17 mai 2008, p. 4
Le gouvernement chinois a ordonné, vendredi 16 mai, l'ouverture d'une enquête sur les raisons pour lesquelles de nombreux établissements scolaires ont été détruits dans le séisme qui a frappé, lundi, la province du Sichuan, dans le sud-ouest du pays. " S'il s'avère qu'il y a eu des problèmes liés à la construction des bâtiments scolaires, nous traiterons les responsables sans aucune tolérance ", a indiqué un responsable du ministère de l'éducation, Han Jin.

Les critiques émanant des parents sur les constructions scolaires se multiplient alors que les chances de retrouver les disparus, enfants et enseignants, s'amenuisent. Lorsque le séisme a frappé le Sichuan, les classes étaient bondées. Neuf cents enfants ont été ensevelis dans une école à Juyuan, un millier à Mianyang, 200 à Hanwang et d'autres dans un collège à Beichuan.

Selon des estimations publiées par l'agence Chine Nouvelle, 6 898 bâtiments scolaires ont été détruits, sur les 216 000 édifices rasés dans la province.

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CHINE Le président Hu Jintao est arrivé dans la province dévastée par le séisme, qui a fait plus de 50 000 morts
Les enfants ensevelis des écoles du Sichuan

Devant l'école de briques vertes en partie écroulée, une femme courbée sur le cadavre de son enfant gémit des phrases inaudibles en embrassant la paire de baskets du mort. A côté d'elle, une autre hurle en agitant les bras. Ailleurs encore, une femme pleure bruyamment dans les bras d'un monsieur muet, immobile et protégé de la bruine sous un parapluie mauve. Deux hommes soutiennent une vieille dame en larmes qui ne tient plus sur ses jambes. Une puissante odeur de mort vient, par bouffées, empuantir l'atmosphère.

Plus d'un millier d'écoliers étaient inscrits dans cette école secondaire de Hanwang, une ville de 53 000 habitants située à une cinquantaine de kilomètres de l'épicentre du séisme.

Selon des sources médicales, le bilan très provisoire fait état d'une centaine de morts et d'un chiffre équivalent de disparus. Une vingtaine de survivants ont été extirpés des décombres depuis les premières secousses qui ont ébranlé l'établissement, lundi à 14 h 30. Plusieurs centaines d'écoliers seraient néanmoins parvenus à quitter cet établissement qui appartient à l'imposante usine de turbine voisine.

Au coeur de Hanwang, l'une des villes les plus meurtries par le séisme, la destruction de l'école secondaire incarne à l'extrême la nature de cette tragédie, qui n'a pas épargné les enfants et suscite déjà l'amertume, voire la colère chez les survivants. Dans une rue où les brancardiers ne cessent d'aligner des corps empoussiérés dans un camion, un petit homme en costume noir constate doucement : " Ma fille est là-dessous, sous les décombres ; elle est en classe de première. J'attends... "

A ses côtés, l'un de ses amis, dont le fils avait auparavant étudié ici, maugrée contre les autorités : " Le gouvernement local est fautif. Cela fait longtemps que l'on aurait dû déménager l'école de ces bâtiments construits dans les années 1960 et qui ne pouvaient pas résister à un tel choc. Les secours ont tardé et c'est aussi bien la faute des autorités locales que du gouvernement central. " Le père de la disparue opine, en serrant nerveusement une bouteille d'eau dans ses mains : " Le déménagement était prévu pour le 1er septembre. "

A gauche de l'école, derrière les pelleteuses qui s'activent sur les débris, des sauveteurs de l'Armée populaire de libération en tenue orange dégagent avec précaution l'espace d'un escalier écroulé. De nombreux corps empilés y ont été retrouvés. Les étudiants se sont précipités dans la panique à l'extérieur du bâtiment quand celui-ci s'est affaissé.

Un médecin accoudé à une ambulance, qui venait de courir avec une bouteille d'eau vers l'école, revient en annonçant : " Il y a trois personnes derrière l'escalier, vivantes. Elles communiquent. Je viens de leur apporter de quoi se rafraîchir. Mais c'est très compliqué de les sortir de là. " Une infirmière raconte que ce matin, une jeune fille a été tirée vivante des décombres : " Sa jambe était coincée sous une poutre, dit-elle ; il a fallu l'amputer. "

Une femme garde les yeux vissés sur l'espace obstrué de l'escalier : " Mon fils est dans le bâtiment. Il est mort, sans doute. Je le sais. Je veux juste le revoir une dernière fois. " Elle ne pleure pas, ne dit rien d'autre, à part son nom et celui de son fils, qu'elle calligraphie soigneusement : elle s'appelle Fu Yinglong, son fils Gou Mingshu. Il était en seconde.

L'infirmière remarque : " Cela fait trois jours qu'ils sont enterrés là-dessous. On ne peut généralement pas résister plus longtemps. A moins de garder son calme, de dormir le plus possible, d'économiser au maximum son énergie. " Un jeune soldat, rencontré plus loin dans les rues dévastées en train de fumer une cigarette, rapporte que " l'on a retrouvé des corps de professeurs entourant de leurs bras les élèves, comme s'ils avaient voulu les protéger jusqu'à la mort... "

Le gymnase de l'école, un bâtiment moderne en acier qui a résisté au choc, a été transformé en chapelle ardente. Sur le terrain de sport, les sauveteurs alignent des cadavres, tous recouverts de bâches en plastique jaune. Des familles se pressent sur les corps de leurs proches, les habillent, les lavent. Des photographes de la police les identifient. Autour, les immeubles de la ville encore debout sont lézardés.

Il règne ici un lourd silence, troublé par le bruit du vent qui fait grincer des portes laissées ouvertes, le fracas des pelleteuses et les sirènes des ambulances. Les bâtiments ont été évacués. Plus loin, au coeur de la ville, une autre tragédie se noue. Le toit de l'usine de turbines à vapeur, fierté de ce chef-lieu de canton, a cédé, enterrant des centaines d'ouvriers sous les gravats. Le bilan est invérifiable. On craint le pire.

La télévision chinoise a annoncé, jeudi, que le bilan devrait " dépasser les 50 000 morts ". Le président Hu Jintao, arrivé vendredi au Sichuan, a prévenu que les opérations de secours avaient atteint " une phase cruciale ".

La veille, Pékin avait fini par accepter, avec retard, l'arrivée sur les lieux du désastre de sauveteurs étrangers. Des experts sud-coréens ont atterri à Chengdu, capitale du Sichuan. Des spécialistes des catastrophes venus de Russie, du Japon et de Singapour sont attendus.

Les médias chinois, pour leur part, mettaient l'accent sur les fissures apparues sur des barrages construits dans les zones situées vers l'épicentre du séisme. Les autorités évoquaient, jeudi, des plans d'évacuation de la population...

Bruno Philip

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