« Un seul monde, un seul rêve ! » Le slogan olympique des Jeux de Pékin 2008 claque de toutes ses couleurs à la descente de l'avion arrivant à Hong Kong. Une horloge digitale plantée au coeur de l'immense salle des arrivées de l'aéroport de Chek Lap Kok égrène les jours, les heures et les secondes qui nous séparent de l'événement mondial de l'année, la manifestation sportive planétaire qui marque surtout, pour le peuple chinois, l'aube du « XXIe siècle chinois ». Au diable la modestie ! La Chine a su être patiente, elle sait jouer la montre et remporter la victoire sur le fil.
La seule présence de ce compte à rebours flamboyant estampillé « Beijing 2008 » vient rappeler aux voyageurs des quatre coins du monde que la République populaire de Chine a déjà pris une revanche majeure sur l'histoire, le 1er juillet 1997 : le retour de l'ancienne colonie britannique de Hong Kong dans le giron chinois. Une victoire sur les « barbares » occidentaux qui avait dépecé la Chine au milieu du XIXe siècle en lui volant des morceaux de son territoire. Réintégrée au continent chinois, la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong en Chine, selon son nom officiel, accueillera les épreuves équestres des JO de... Pékin !
Le généreux Parti communiste chinois sait très habilement faire partager sa fierté retrouvée et faire comprendre aux sept millions de Hongkongais qui est leur maître désormais. Qu'ils le veuillent ou non. L'esprit olympique souffle sur « Hung Gong », « Port parfumé » en langue cantonaise, porte royale de la Chine depuis l'arrivée des marchands et trafiquants britanniques en mer de Chine il y a plus d'un siècle et demi. Le long des escalators mécaniques du métro ultramoderne de la ville, les publicités en tout genre s'inspirent de la thématique des Jeux olympiques : montres, parfums ou banques récupèrent les cinq anneaux pour rivaliser avec la concurrence. La fièvre monte.
Pressé de rejoindre l'air libre de Nathan Road au coeur du quartier très commerçant de Tsim Sha Tsui sur la péninsule de Kowloon, Jim Ng, 27 ans, qui travaille dans la publicité, saute deux à deux les marches de l'escalier mécanique. Un véritable athlète, à l'image du champion olympique et champion du monde chinois du 110 m haies, Lu Xiang, placardé sur toutes les affiches. « Ah oui, les Jeux olympiques ? Bien sûr, je suis fier que les Chinois organisent cet événement mondial, et nous à Hong Kong on récupère les épreuves équestres... Ici, nous sommes passionnés par les courses de chevaux et les paris qui rapportent des millions de dollars ! »
Les troubles au Tibet n'intéressent guère ce jeune Hongkongais dont la petite amie se prépare à partir en France pour la prestigieuse école de commerce INSEAD à Fontainebleau, mais les menaces de boycottage le préoccupent : « Je ne suis pas d'accord, le Tibet est loin d'ici et Pékin essaie de tout faire pour améliorer la vie des Tibétains ! Ils ne sont pas chinois et profitent du développement économique du pays. » Depuis sa réintégration dans la mère patrie, Hong Kong ne se « sinise » pas vraiment puisque ses habitants ont toujours été chinois, d'origine cantonaise. Lorsque la Chine s'étend sur de nouveaux territoires comme au Tibet, Xinjiang ou en Mongolie, elle « sinise » progressivement les populations. Ici, non. Hong Kong aurait plutôt tendance à se « mandariniser ».
Certes le drapeau rouge étoilé de la République populaire de Chine flotte fièrement sur tous les immeubles officiels de l'ancienne colonie mais l'air y reste plus léger que sur le continent. On entre sur le territoire sans visa et sans craindre de se faire refouler à la frontière comme journaliste. Depuis les troubles au Tibet, cependant, plusieurs militants d'ONG ont été rapatriés en Europe ou aux États-Unis à la veille de l'arrivée de la flamme, il y a quinze jours. Au-delà de la crainte de troubles, les services de l'immigration doivent suivre les consignes envoyées par Pékin et avoir sous les yeux les « listes noires » des indésirables.
Les annonces dans les bus, métros, tramways se font désormais en trois langues ; cantonais, anglais et... mandarin, langue officielle des nouveaux maîtres ! Même les vieux chauffeurs de taxi qui maîtrisaient l'anglais se sont mis à assimiler le mandarin. « Avec les milliers de touristes et hommes d'affaires du continent qui se déversent tous les jours à Hong Kong, on est bien obligé de s'y mettre ! », éclate de rire le vieux Yun au volant de sa Toyota rouge et gris, couleur des taxis de Hong Kong, en traversant un des trois tunnels qui relient maintenant l'île de Victoria à la péninsule de Kowloon. Il explique ne pas se sentir envahi par les « continentaux » : « Les Cantonais comme nous ne redoutent pas les Pékinois, car nous avons notre propre langue, notre culture, notre fierté et surtout notre... gastronomie ! » Ses rires redoublent à l'idée d'un Pékinois mangeant « tout ce qui marche, rampe ou vole... impossible ». Une blague irrésistible circule d'ailleurs parmi la communauté des 300 000 catholiques de Hong Kong à propos des goûts culinaires si particuliers des Cantonais : « Si Adam et Ève avaient été cantonais, il n'y aurait jamais eu de péché originel, car Ève n'aurait pas mangé la pomme mais... le serpent ! » Imaginez cette plaisanterie racontée dans cette langue chantante ou criarde, selon les avis, qui s'échelonne sur huit tons !
Ah ! cet humour cantonais du sud de la Chine ! Singuliers Cantonais de Hong Kong, exilés chinois ayant fui la misère et les tourmentes politiques communistes, confrontés depuis des décennies aux influences occidentales de liberté et de démocratie. Leur humour a dû les sauver de la schizophrénie. En dépit des apparences, Hong Kong a toujours été chinoise (les Anglais n'ont jamais représenté que 2 % de la population totale), mais la liberté d'entreprendre, protégée par le cadre juridique britannique, l'a métamorphosée en modèle économique et social pour le continent chinois dans les années 1990. Les réussites de ce minuscule confetti chinois méridional préfiguraient déjà ce qu'allait devenir la puissance chinoise, une fois économiquement libérée de ses chaînes idéologiques marxistes.
« Encore aujourd'hui, à Hong Kong, on se considère comme des Chinois un peu particuliers, assure, un peu gênée, Betty Lam, 45 ans, professeur d'université qui a voyagé dans le monde entier, et nous regardons les continentaux en visite chez nous, même si les liasses de yuans débordent de leurs portefeuilles, comme des gens moins sophistiqués que nous... » Ce n'est pas de l'arrogance mais une fierté légitime.
Hong Kong, exposée depuis longtemps aux idéaux de liberté et de démocratie, aura pourtant bien besoin de toutes ces convictions pour lutter contre le travail d'usure de Pékin, appliqué à reprendre définitivement la main sur le système politique. « Je suis chinoise, affirme Betty Lam, mais plus libre de penser et de parler que sur le continent, c'est ce qui fait la force de Hong Kong ! »
© 2008 la Croix. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire