La mondialisation ne fait pas de notre monde une arène sans cloisons où seule l'économie imposerait ses capricieuses lois. Désormais, chaque nation, aussi fermée soit-elle, s'y trouve exposée, surexposée. Et dans chaque nation libre, les opinions disputent aux Etats la conduite à tenir. Un peu du Tibet échappe à la muraille de Chine. Et un peu d'Occident échappe aux mains des diplomates : le droit-de-l'hommisme y joue à cache-cache avec la raison d'Etat.
Les Jeux olympiques-le plus médiatisé des événements planétaires-excitent, chez nous, un nouveau dilemme. L'Occident doit-il saisir ce rendez-vous mondialisé pour promouvoir son idéal ? Ou doit-il respecter-avec la trêve olympique-la différence des peuples avec lesquels il entretient une coexistence marchande et pacifique ?
Sur notre planète, l'Occident rayonne encore par ses niveaux de vie, par l'expansion de ses techniques et les progrès lents mais constants du régime démocratique dont il est le champion. Mais, en même temps, il constate que le rapport de puissance démographique et l'émergence de nouveaux mastodontes réduisent son poids relatif. L'universalisme de l'idéal occidental-celui de la liberté-conquiert de nouveaux territoires. Mais il recule devant des nations, voire des civilisations, qui tantôt lui dénient toute ingérence dans le processus de leur évolution (Russie, Chine) et tantôt refusent carrément (l'islamisme) le modèle démocratique occidental. Conclusion optimiste : l'Occident, avec le temps, verra le monde converti à ses idéaux. Conclusion pessimiste : l'Occident sera submergé par l'avènement de superpuissances hostiles à son modèle...
Les optimistes devraient, sans s'impatienter, prendre en considération la diversité des rythmes historiques. Pourquoi voudrait-on que des peuples pliés par une longue Histoire à la servitude dépouillent en un siècle plusieurs siècles d'asservissement ? Il y a quarante ans, chez nous, un maoïsme à la parisienne enfiévrait des écervelés au moment même où la Révolution culturelle chinoise... engloutissait 6 millions de morts. La « Cina vicina », la Chine soit-disant proche de cette simagrée révolutionnaire, voici qu'elle commence seulement d'investir notre proximité. Convertie à l'économie de marché, elle laisse certes perdurer un régime policier, elle opprime sans faiblesse ses peuples indociles (le Tibet, les Ouïgours), mais elle a fait d'indéniables progrès. Face à la Chine, premier atelier du monde mais cruelle à ses minorités, nos belles âmes brandissent un droit-de-l'hommisme incandescent. Ces postures de nos « résistants » sont-elles de bon aloi ou dévaluées par la jactance ? C'est selon...
Ajoutez que nos indignations divaguent au gré d'une actualité aléatoire et de ses relais médiatiques. Lorsque l'absence de caméras ne noie pas dans le silence les cris des opprimés.
Mais, surtout, le surplomb prédicateur de l'Occident sur les voies et moyens d'accéder au nirvana démocratique débecte les régimes les mieux disposés. En Asie, en Afrique, le prêche occidental, aussi épuré soit-il de toute visée impériale, ressuscite par son arrogance, par son ignorance des cultures exotiques, l'outrecuidance du prêche colonial. C'est au seul étiage démocratique que nous mesurons la valeur d'une civilisation. Et notre injonction morale, quasi religieuse, de la démocratie renforce l'aversion de nationalismes écorchés vifs. Combien de « damnés de la Terre » rejettent aujourd'hui les sermons et recettes des vieux riches que nous sommes !
Loin de moi l'idée que l'Occident doive mettre ses valeurs dans sa poche, sous un mouchoir plein de larmes ! Le nationalisme chinois, lui, n'a, ces temps-ci, que trop tendance à jouer les gros bras : avec le Darfour, par exemple. Et il apparaît assez naturel, voire heureux, que les Jeux olympiques, où il s'est jeté pour afficher sa gloire, réveillent chez nous les paladins du monde occidental.
Encore faut-il que nos princes élus au service de la raison d'Etat se gardent d'enfourcher chaque foucade de la démocratie d'opinion. Le monde regorge désormais de minorités opprimées (Tchétchénie, Tibet). On regardera à deux fois avant de jeter notre idéal de liberté dans ces chaudrons où l'« effet pervers » devient vite liberticide. Déjà, le dalaï-lama, soucieux de l'autonomie culturelle et religieuse de son peuple, se trouve débordé par une revendication indépendantiste qu'il refuse.
Sarkozy prendra donc son temps avant d'arrêter son attitude et de l'harmoniser, j'imagine, avec ses pairs européens. Laissons aux athlètes le panache des Jeux ; aux peuples d'Occident le message de leur idéal. Et aux hommes d'Etat, la froide sagesse de leur mission ! Tous ne visent pas les mêmes médailles !
Claude Imbert
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