jeudi 29 mai 2008

Le mot chinois - "Tiannu" : la colère du ciel - Chen Yan

Courrier international, no. 917 - Asie, jeudi, 29 mai 2008, p. 30

Dans l'imaginaire traditionnel chinois, une grave catastrophe naturelle est forcément l'expression de la colère du Ciel - tiannu - contre les humains. C'est aussi l'annonce d'une possible remise en cause du mandat céleste, source de la légitimité politique du pouvoir. Mais qui parle de colère du Ciel à propos du séisme au Sichuan ? Personne. Le terme est soigneusement évité par la presse chinoise, Internet compris. Pourquoi cette omission ? L'idée est-elle démodée ? Les Chinois sont-ils tous devenus trop matérialistes et donc peu superstitieux ?

Non, car l'expression fleurit sur les sites en chinois en dehors de la Chine. Ainsi, malgré une relative transparence dans la gestion de cette terrible catastrophe, il existe manifestement une ligne rouge à ne pas franchir.

Mais il sera plus difficile de chasser ce sentiment ancestral de l'esprit de la population que de lui interdire d'en parler. D'autant que, il y a moins de deux ans, la Chine célébrait en grande pompe le trentenaire du tremblement de terre de Tangshan, qui avait officiellement fait 240 000 morts. Le séisme de juillet 1976 avait précédé de peu la mort de Mao et finalement inauguré l'ère de Deng Xiaoping.

Que se passera-t-il cette fois ? Le gouvernement prend les choses au sérieux, comme le montrent la rapidité de sa réaction, son ouverture vers le monde extérieur et surtout ses gestes inhabituels envers les victimes. Il a autorisé une interruption du parcours de la flamme olympique et ordonné un deuil national de trois jours et la mise en berne du drapeau national. Les internautes clameront que c'est bien la première fois que la République populaire s'incline devant des citoyens de base ! Les plus traditionnels diront que c'est une version moderne du décret de repentance de l'empereur, par lequel celui-ci tentait d'éviter le changement de mandat céleste.

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