PHOTO - Gilles Sabrié
Pour une nation qui avait les yeux rivés sur la fête olympique de l'été, le choc est rude. Il n'en fallait pas davantage pour que surgissent ici et là des interrogations - inquiètes ou réjouies - sur la capacité du Parti communiste (PCC) à digérer ces ébranlements. Ces derniers ne vont-ils pas induire des ruptures risquant à terme de miner le régime chinois ? Voilà par exemple que l'on reparle de Tchernobyl et de son impact mortel sur le système soviétique.
C'est la faiblesse de nombre d'analyses sur la Chine : elles continuent d'emprunter à l'outillage conceptuel de la soviétologie. Le postulat de cette grille de lecture est le suivant : l'existence du PCC à la tête de la Chine est une anomalie dont l'Histoire ne va pas tarder à faire justice. Le régime va finir par s'effondrer. Il suffit de guetter le choc qui portera l'estocade fatale. Le soulèvement démocratique du printemps de Pékin en 1989 ayant échoué - écrasé dans le sang -, la protestation sociale des laissés-pour-compte de la croissance devrait prendre le relais. Et - pourquoi pas ? - une série de désastres naturels, en révélant l'incurie du pouvoir, pourrait coaguler les contradictions du système et accélérer la chute finale.
A chaque fois qu'une crise survient en Chine, ces présupposés irriguent immanquablement les analyses. Il faut dire que les Cassandre ont des circonstances atténuantes : les dirigeants chinois eux-mêmes vivent dans cette anxiété de perdre le " mandat du ciel " et d'être emportés par une révolte populaire, à l'instar des cycles dynastiques qui scandent l'histoire chinoise depuis plus de deux mille ans. Mais ce que ne voient pas les annonciateurs de la chute finale, c'est que le réflexe de survie du régime le porte à une plasticité inédite dans l'histoire des PC mondiaux. On ne peut plus aujourd'hui dépeindre la direction chinoise comme une gérontocratie archaïque, obsolète, doctrinaire, fossilisée dans des dogmes d'un autre âge.
Tout en demeurant un parti unique autoritaire, muselant sans pitié ses opposants, le PCC s'est mué en un appareil réactif, prompt à l'ajustement, voire à l'autocritique, prospectant sans cesse à l'étranger des modèles d'efficacité, sans aucun tabou. C'est cette élasticité qui lui a permis de projeter la Chine sur la voie du libéralisme économique, enrichissant globalement le pays. Et consolidant au passage son assise politique.
On peut - on doit ! - dénoncer les violations des droits de l'homme en Chine tout en étant lucide sur cette réalité de la nouvelle équation politique chinoise : le PCC a su restaurer sa légitimité aux yeux d'une partie de la population. S'il ne l'avait pas fait, il se serait déjà écroulé. Son étonnante longévité au regard du cycle idéologique du XXe siècle ne s'explique que partiellement par sa nature répressive. Il la doit aussi à son aptitude à sceller un nouveau " contrat social " avec la population. Celui-ci repose sur deux piliers.
D'abord, l'efficacité économique, qui a conduit le PCC à s'adosser aux couches sociales émergentes urbaines, connectées sur la globalisation. Le régime n'a cessé de flatter ces nouveaux groupes qui, s'ils restent interdits d'activisme politique, s'épanouissent dans une sphère privée de plus en plus autonome.
LE " SCANDALE DES ÉCOLES "
Quant aux couches négligées ou victimes de la réforme économique, petit peuple brutalisé par la cupidité d'appareils locaux aussi tyranniques que corrompus, elles peuvent se révolter sur une cause ponctuelle mais il serait bien hâtif de leur prêter des intentions révolutionnaires. Leur combat cible le pouvoir local et non le pouvoir central, dont l'arbitrage est en permanence sollicité.
La relation n'est pas binaire mais triangulaire, le régime de Pékin excellant dans l'art de sanctionner ses petits chefs pour apaiser le courroux du peuple. On devrait à nouveau le vérifier quand le " scandale des écoles " du Sichuan, dont l'incapacité à résister au séisme révèle la gravité de la corruption locale, prendra de l'ampleur ces prochaines semaines.
Le deuxième pilier de ce nouveau " contrat social " ayant affermi le PCC est le patriotisme. Ou le nationalisme, comme on voudra. Au lendemain du traumatisme de Tiananmen (1989), qui avait creusé un fossé abyssal entre le pouvoir et la société, le parti a délibérément réhabilité les thématiques nationales, exaltant la grandeur de la Chine éternelle tout en jouant sur la paranoïa du complot occidental. Le calcul était d'élaborer une idéologie de substitution au marxisme défaillant et d'allumer un contre-feu au " péril " démocratique. Force est de constater que l'opération a réussi au-delà de toute espérance. La population chinoise, et surtout son élite économique et intellectuelle, sait gré au PCC d'avoir parrainé un essor économique qui a réinstallé la Chine sur la carte du monde. Quand ils jettent un regard rétrospectif sur une Histoire récente assez calamiteuse, nombre de Chinois ne cachent pas leur " fierté " du chemin parcouru. L'" amour de la Chine ", que professe désormais la jeunesse chinoise, est un cri du coeur qui eût été impensable dans les années 1980 quand les étudiants s'affligeaient plutôt de l'archaïsme de leur pays.
Le PCC est conforté par ce nouvel air du temps. Si la crise tibétaine l'a désarçonné sur le front diplomatique, elle a eu l'effet contraire sur la scène intérieure : l'opinion chinoise han, pour qui l'appartenance du Toit du monde à la Chine ne souffre pas la discussion, a plutôt volé au secours du pouvoir, solidaire face aux critiques de l'Occident. Agressivement chauvin dans le cas du Tibet, ce même " amour de la Chine " vient de prendre une tournure plus pacifique et positive au lendemain du séisme du Sichuan sous la forme d'un élan de solidarité exceptionnel au sein de la population. L'heure est à la célébration de la " Chine unie ". On voit mal comment de telles évolutions pourraient fragiliser le PCC. Bien sûr, le défi pour lui sera d'être à la hauteur de ce nouveau civisme de plus en plus exigeant. Mais il a affaire à des forces sociales qui ne sont nullement prêtes à jeter le bébé avec l'eau du bain, c'est-à-dire à congédier le PCC au risque de résilier le " contrat social " dont il est porteur. Pour l'instant, en tout cas.
Frédéric Bobin
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