Tout va vite, très vite, entre Taipei et Pékin. Le 22 mars, le parti conservateur du Kuomintang (KMT) a repris la main à Taïwan. Non autorisé à concourir pour la présidence après ses deux mandats successifs, Chen Shui-bian n'avait alors pu qu'observer son favori, le candidat du très antichinois Parti Démocratique progressiste, subir une large défaite.
Du même coup, s'achevaient huit années de forte tension entre l'île et le continent, durant lesquelles s'étaient succédé menaces d'intervention militaire de la part de Pékin, appels à l'indépendance et menace de référendum sur l'entrée à l'Organisation des Nations unies de la part de Taïwan. Placé sous la pression d'une opinion publique favorable au statu quo, le nouvel élu Ma Ying-jeou (qui n'a été intronisé que la semaine dernière) avait pourtant interdiction de se montrer trop conciliant vis-à-vis de Pékin.
Depuis, tout s'est pourtant accéléré. Le 12 avril, le vice-président taïwanais Vincent Siew s'est rendu sur l'île de Hainan (au sud des côtes chinoises) pour y rencontrer le président chinois Hu Jintao. Cette fois-ci, c'est sous sa casquette de secrétaire du Parti communiste que Hu Jintao a invité le président du Kuomintang Wu Poh-hsiung. Arrivé mardi à Nankin (la capitale de la province du Jiangsu, dans l'est de la Chine), ce dernier a rencontré Jia Qinlin, l'un des plus hauts dignitaires du parti et donc du pays. « Puisqu'une nouvelle ère commence, nous devrions nous réconcilier, échanger des idées, vivre en harmonie et nous efforcer mutuellement à nous diriger vers un développement pacifique », a-t-il assuré à peine débarqué sur son tapis rouge. « Il pourrait y avoir des difficultés mais quand on est résolu les régler, on atteint à coup sûr la paix et le développement ».
De telles déclarations ne pouvaient que provoquer l'euphorie au sein d'un État chinois dont les deux principales craintes existentielles concernent les soulèvements du Tibet et de Taïwan. La machine de la propagande s'est alors mise en marche. Les émissions spéciales - et quasiment sacrées -, sur le séisme qui a touché le Sichuan il y a dix jours ont été interrompues pour traiter de « la plus importante des visites de haut niveau d'un dirigeant taïwanais depuis 1949 ». Les quotidiens de tout le pays ont aussi écarté pour la première fois depuis dix jours le tremblement de terre de leur titre principal.
Cette excitation dénotait sérieusement avec le sentiment de la population, qui varie entre indifférence et exaspération. « Les jeunes ne sont pas vraiment favorables à la politique du gouvernement chinois », explique Xin Chen, professeur à l'académie chinoise de sciences sociales. « Ils trouvent qu'il est bien trop faible avec Taïwan, qu'il aurait dû se montrer bien plus dur avec Chen Shui-bian. Ils pensent que le retournement actuel n'est dû qu'à l'alternance politique à Taïwan et que le gouvernement n'y est donc pour rien. » Sur Internet, toutes les discussions ouvertes sur le sujet ont déjà été fermées par les autorités.
Mercredi à Pékin pour la deuxième des six journées de son séjour, Wu Poh-hsiung s'est rendu au mausolée de Sun Yatsen, le fondateur de la première république chinoise, et au stade olympique, avant de rencontrer son homologue Hu Jintao. Il a assuré à son hôte que « nous ne pouvons pas garantir qu'il n'y aura plus de catastrophe naturelle des deux côtés du détroit mais, à travers nos efforts mutuels, nous pouvons nous assurer qu'il n'y aura pas de guerre ».
Des gestes et des phrases qui font dire à Jean-Pierre Cabestan, le doyen du département de sciences politiques de l'université baptiste de Hong Kong, que l'« on se dirige vers la reconnaissance d'une entité qui s'appelle la République de Chine. La phrase utilisée par Ma Ying-jeou et qui résume tout cela est la « non-dénégation mutuelle ». S'il n'y a pas encore acceptation de l'autre, on ne nie pas non plus son existence. Mais quand on accepte le statu quo, cela signifie que l'on se dirige vers la reconnaissance de l'autre. » Une issue qui rassurerait tout le monde dans la région.
© Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2008
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