jeudi 29 mai 2008

LITTÉRATURE - Entretiens de Huo Datong avec Dorian Malovic

Les Echos, no. 20181 - Idées, jeudi, 29 mai 2008, p. 17
Quelques clefs pour mieux comprendre les angoisses et les espoirs nés de la mutation chinoise. Parmi la marée d'ouvrages consacrée à la Chine, celui-ci apporte un éclairage instructif. Né d'une rencontre improbable à Chengdu entre Dorian Malovic, un journaliste français et Huo Datong, le premier Chinois à avoir réintroduit la psychanalyse dans son pays, il nous offre quelques clefs de compréhension de « l'âme chinoise ».

Mais surtout des angoisses nées de la formidable mutation engagée depuis le début des années 1980 par le géant asiatique.

L'histoire même de Huo Datong en constitue un résumé saisissant. Le « petit garde rouge » sichuanais, exclu de l'épopée de la Révolution culturelle pour sa déficience oculaire, se plongera dans la lecture pour assouvir sa soif intellectuelle. Il découvrira aussi la « trahison du marxisme » et, de déceptions amoureuses en rencontres, Freud et... Lacan.

Laissons au lecteur le plaisir de découvrir cet itinéraire qui vaudrait à lui seul un roman, l'arrivée à Paris en 1986 du jeune boursier chinois venu poursuivre officiellement ses études sur la « dynamique de l'agriculture et la démographie en Chine », sa découverte des maîtres de la psychanalyse, son retour à Chengdu, où il fait figure de pionnier en cherchant à soulager les psychoses nées du basculement du communisme dans un capitalisme désordonné.

Fort de ce parcours, l'analyse comparée de l'inconscient des « fils du ciel » et de l'inconscient occidental est des plus intéressantes. Exaspéré par les clichés sur la part d'insondable du Chinois, il nous entraîne dans une quête des identités communes à l'Occident et à l'empire du Milieu avant de mettre en relief leurs particularismes. Si toute société contemporaine se base sur le « contrat » par exemple, « la société occidentale accentue la relation du mariage et du contrat avec l'épouse » alors que, pour les Chinois, prime « la relation filiale » et son prolongement entre les générations. Universel, le mythe d'OEdipe ne s'analyse en Chine qu'au travers du « mythe de la naissance », point commun entre tous les maîtres spirituels ou lettrés, de Lao-Tseu à Confucius. On comprend mieux le traumatisme que représente la politique de l'enfant unique imposée par Mao, qui touche au coeur de la structure familiale. Comme cet « espace libérateur » que forment désormais le bouddhisme ou le taoïsme.

Instructif, ce livre l'est aussi pour tous ceux qui, touristes ou hommes d'affaires, se méprennent sur des attitudes jugées hypocrites, sur le jeu de la « face » perdue ou sauvée, sur les pratiques de la corruption ou sur l'émergence du « dieu argent » qui s'est substitué à l'idéologie communiste. Mais tout comme l'âme occidentale restera longtemps obscure, pour ne pas dire obscurcie, par le rejet millénaire des « barbares » qu'elle représente pour les habitants de l'empire du Milieu, l'âme chinoise gardera sa part de mystère. Quelques a priori en moins. Notamment sur l'« occidentalisation » d'un pays qui, de tout temps, a su « siniser » les expériences venues d'ailleurs, comme le communisme ou le capitalisme.

LA CHINE SUR LE DIVAN

Entretiens de Huo Datong avec Dorian Malovic

Plon, 180 pages, 18,90 euros.

FRANÇOISE CROUÏGNEAU

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