jeudi 29 mai 2008

Pilote, ce n'est pas une sinécure ! - Don Lee

Courrier international, no. 917 - Economie, jeudi, 29 mai 2008, p. 50
Si les voyageurs américains se plaignent de leur sort, qu'ils prennent en considération ce qu'ont récemment enduré les passagers de dix-huit avions de la compagnie China Eastern partis de l'aéroport de Kunming, dans le sud de la Chine. Certains avions ont fait demi-tour à mi-chemin, et d'autres sont arrivés à destination mais sont retournés à Kunming sans laisser débarquer leurs passagers.

La météo et la mécanique n'y étaient pour rien. Il s'agissait seulement, pour les pilotes, d'exprimer leur mécontentement au sujet de leurs salaires, de leurs emplois du temps harassants et de leurs contrats à vie.

L'administration de l'aviation civile a infligé une amende de 137 000 euros à la compagnie et lui a retiré l'exploitation de quelques lignes intérieures. Mais elle n'a pas traité le problème de fond. A savoir que le secteur du transport aérien, confronté à une pénurie de pilotes ainsi qu'à une réglementation et une gestion dépassées, est incapable de faire face à l'explosion de la demande.

Dopées par la croissance économique du pays et l'enrichissement d'une partie de sa population, les compagnies chinoises ont transporté 185 millions de passagers l'année dernière, soit 34 % de plus que deux ans plus tôt. Les transporteurs achètent des centaines d'avions, mais ils ont le plus grand mal à trouver des gens pour les piloter. "On se trouve dans une situation où l'on a besoin de tous les pilotes dans les cockpits", reconnaît Tian Baohua, président de l'Institut de gestion de l'aviation civile de Chine, à Pékin.

Dans une compagnie publique comme China Eastern [l'une des trois premières du pays], un commandant de bord gagne environ 28 600 euros par an. Pour un Chinois moyen, c'est beaucoup d'argent, mais ces pilotes toucheraient au moins 50 % de plus s'ils travaillaient dans le privé. Au-delà du salaire, les pilotes sont excédés par un planning épuisant. Théoriquement, ils doivent avoir deux jours consécutifs de repos par semaine. Mais, à en croire les pilotes, on les fait systématiquement travailler six jours par semaine, sans repos compensateur. "En sept mois, je n'ai jamais eu 48 heures de repos d'affilée", dénonce Wu, un commandant de bord de China Eastern âgé de 35 ans. Même s'il n'approuve pas le récent coup d'éclat organisé par ses collègues à Kunming, Wu - qui a treize ans de métier derrière lui - comprend leur colère. "J'ai souvent mal au dos et au thorax", reconnaît le jeune pilote, qui a récemment donné sa démission.

D'autres compagnies [privées] connaissent le même genre de difficultés. En mars dernier, quarante commandants de bord de Shanghai Airlines se sont mis en congé maladie en même temps. Deux semaines plus tard, onze de leurs confrères d'East Star Airlines faisaient de même.

Au total, quelque 200 pilotes, dont environ 70 à China Eastern, ont décidé de mettre un terme à leur contrat. Rapporté aux 10 000 pilotes que compte la Chine, c'est peu, mais ils seraient bien plus nombreux s'ils pouvaient se le permettre. La plupart d'entre eux ont en effet signé un contrat à vie avec la compagnie qui a payé leurs études et leur entraînement - dont le coût peut dépasser 63 000 euros. Peu désireux de perdre un tel investissement, les transporteurs réclament jusqu'à dix fois cette somme à ceux qui souhaitent s'en aller, rapporte Zhang Qihuai, un avocat du cabinet Beijing Lanpeng. Celui-ci représente une cinquantaine de pilotes qui ont demandé un arbitrage ou intenté un procès à leur employeur. Jusqu'ici, rares sont ceux qui ont eu gain de cause.

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