Avec les grandes catastrophes naturelles qui endeuillent le Sichuan et la Birmanie, la croyance populaire, profondément enracinée en Asie, sait qu'un « mandat du Ciel » vient de s'achever, tout comme le terrible tremblement de terre de Tangshan, en 1976, annonçait la mort de Mao et la fin d'un monde.
À Dieu ne plaise. Il faut espérer que la Chine se voit épargnée, malgré les colères telluriques, un nouveau temps de troubles que provoquerait une interruption brutale de son modèle de développement, dont le succès apparent nous ébahit encore. Mais sans tomber dans les superstitions exagérées d'une culture qui prétend lire les oracles du destin dans les signes de la nature, il est vrai que ces catastrophes naturelles font écho à la fin évidente d'une période historique, celle de l'hégémonie américano-chinoise qui s'est établie vers 1992. À ce moment-là, en effet, la victoire de Clinton et la consolidation de l'économie socialiste de marché par Deng Xiaoping, dans un ultime effort du grand vieillard contre les nostalgiques du socialisme planificateur, ont mis en place la dynamique qui régit encore, pour l'essentiel, notre planète.
Par un miracle alchimique très particulier, la Chine et les États-Unis, qui étaient des alliés géopolitiques solides face à l'Union soviétique déclinante des années 1970 et 1980, avaient réussi à transformer leur divorce politique, survenu au lendemain de Tiananmen au printemps 1989, en un solide partenariat économique qui représente encore à ce jour la poutre maîtresse de toute notre stabilité mondiale. Il est vrai, qu'à l'époque, la Russie gisait au sol, le Japon se relevait à peine de l'explosion de sa bulle immobilière, l'Allemagne faisait face aux immenses difficultés de sa réunification, dont elle faisait porter une partie notable du coût sur ses partenaires immédiats, et l'Amérique latine voguait entre booms sans lendemain et effondrements sans grande surprise.
Ce monde se termine, en ce moment même, avec l'ascension de Barack Obama, la montée du protectionnisme américain, l'épuisement du modèle exportateur qui a, si spectaculairement, réussi en Chine et l'invasion de la scène mondiale par de nouveaux acteurs, notamment les producteurs de pétrole cartellisés dans l'Opep. Mais, pour mieux comprendre le mécanisme qui est en train de disparaître, essayons d'abord de le décrire, peut-être dans sa phase d'apogée d'après 2001.
L'Amérique, confrontée à une situation apparente de guerre, en a été entièrement préservée dans ses équilibres intérieurs par l'intervention volontariste de la Chine : en achetant, sur le modèle déjà emprunté par le Japon, des bons du Trésor américains à des taux d'intérêt artificiellement maintenus très bas, Pékin a financé, sans aucun état d'âme, le laxisme des autorités financières et monétaires américaines qui, en toute logique, auraient dû augmenter les impôts et élever les taux. L'intérêt bien compris de la Chine (et accessoirement des autres exportateurs asiatiques, Japon compris), était, en effet, de ralentir artificiellement la montée de sa monnaie qui aurait dû suivre, naturellement, les excédents commerciaux considérables qui avaient été accumulés d'une année sur l'autre.
En stimulant le dollar, on maintenait le pouvoir d'achat américain et, donc, une capacité inentamée d'exportations à trop bon marché vers les économies développées des États-Unis et d'Europe. Un peu comme deux curés pécheurs qui avaient décidé de s'entendre pour se donner, réciproquement, l'absolution de leurs péchés respectifs, l'Amérique était dispensée des mesures d'austérité que la situation internationale lui aurait, autrefois, imposées ; et la Chine pouvait continuer à exporter à tout-va, alors qu'une hausse raisonnable de sa monnaie l'aurait contrainte à réorienter, plus vite et plus efficacement, ses investissements sur son vaste marché intérieur. Bien entendu, une telle situation artificielle, contraire à toute logique économique, ne peut se maintenir indéfiniment. La voici maintenant entrée en crise, sous l'impact d'un effet exogène, la hausse faramineuse du prix des hydrocarbures induite en partie - mais en partie seulement - par la faible productivité chinoise et indienne.
Entre-temps, l'Amérique paie son laxisme d'un effondrement très rapide de sa monnaie qui déstabilise l'ensemble du marché mondial, et la Chine a importé des phénomènes inflationnistes pervers qui entraînent, pour l'instant, une hausse très rapide des coûts salariaux sur la côte Est, une bulle immobilière faramineuse à Shanghaï et à Pékin et une allocation très discutable des ressources intérieures. La Némésis politique prend aux États-Unis le visage apparemment séduisant d'Obama, lequel annonce pourtant le triomphe d'un isolationnisme politique et d'un protectionnisme économique fondés sur la baisse délibérée du dollar. Mais on peut se demander si le visage austère, tout à l'inverse, de Hu Jintao ne préparerait pas, en Chine, le retour à une attitude plus responsable en matière internationale et plus ouverte à la démocratisation.
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