lundi 2 juin 2008

La Chine empêtrée dans sa politique pétrolière - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20183 - Industrie, lundi, 2 juin 2008, p. 21
Contraints de maintenir, pour des raisons politiques, les prix de leurs produits raffinés à un niveau artificiellement bas, Sinopec et PetroChina voient leurs profits plonger et rechignent à produire. Les premières pénuries apparaissent dans le pays.

L'envolée du prix du brut ne ravit pas tous les groupes pétroliers de la planète. Si la plupart des géants occidentaux du secteur ont vu leurs profits augmenter ces derniers mois au fil de la progression du baril, PetroChina et Sinopec, les deux géants chinois de la production et du raffinage, se retrouvent, eux, en très grande difficulté. Sur le premier trimestre, Sinopec, le plus grand vendeur d'essence du pays, a vu ses bénéfices nets plonger de 72 %. Ceux de PetroChina, un temps présenté comme la plus grande capitalisation de la planète, ont, eux, reculé de 31 %. Les titres des deux groupes ont plongé sur la place de Shanghai et entraîné avec eux l'ensemble du marché boursier. Aux ordres de Pékin, ces mastodontes publics sont contraints de protéger les consommateurs chinois face à la hausse du coût de l'énergie en maintenant le prix de leurs produits à un niveau artificiellement bas. « Nous sommes dans une situation totalement aberrante », tranche un expert chinois.

Si chaque année 100 millions de tonnes de brut transformé sont vendues dans le pays à un prix de marché, notamment sous forme de kérosène, l'essentiel des produits raffinés localement - soit près de 250 millions de tonnes par an - est, lui, écoulé sous forme d'essence et de gazole à des prix déterminés par le gouvernement. Pékin a ainsi décidé qu'une tonne de gazole valait 700 dollars en Chine contre... 1.200 dollars sur les marchés mondiaux sur lesquels s'alimentent en baril PetroChina et Sinopec.

« Ils achètent au prix fort, mais doivent vendre leur produit raffiné à un prix correspondant à un baril stabilisé à 70 dollars », explique Jacques de Boisséson, le représentant général de Total en Chine. Sinopec affirme ainsi qu'il perd 3.000 yuans (430 dollars) à chaque fois qu'il produit une tonne d'essence ou de gazole. « Au total, on estime que cette politique de prix fixe censée protéger les consommateurs représente chaque année un manque à gagner de 50 à 100 milliards de dollars pour les pétroliers chinois », remarque le spécialiste. Les distributeurs étrangers, présents dans le pays avec des réseaux de stations-service, souffrent eux aussi du plafonnement des tarifs à la pompe.

Les autorités inquiètes

Etouffés, Sinopec et PetroChina ont intensifié ces dernières semaines leur lobbying pour contraindre Pékin à accepter un réajustement du prix de l'essence et du gazole. Mais le gouvernement résiste. Il n'a consenti qu'à deux légères hausses au cours des deux dernières années. Les autorités préfèrent voir souffrir leurs pétroliers plutôt qu'autoriser une augmentation dans un climat déjà inflationniste. Le gouvernement ne peut toutefois pas totalement ignorer les appels au secours de ses deux grands groupes. Pour combler leurs pertes, PetroChina et Sinopec ont en effet eu tendance, même s'ils s'en défendent, à freiner leurs capacités de raffinage et les premières pénuries ont été recensées dans le Zhejiang, le Hebei et même le centre de Pékin, des zones clefs de la puissance économique chinoise.

Inquiètes, les autorités ont déjà cédé des rabais de TVA sur les importations de brut et de certains produits raffinés. Elles ont même reversé directement 1 milliard de dollars en avril à Sinopec, le plus touché des deux géants du pays. Les experts assurent qu'elles pourraient maintenant accepter de revoir leur système de taxation des producteurs de pétrole, mis en place il y a deux ans lorsque ses deux géants généraient des profits record. « La hausse des prix semble, elle, exclue pour le moment. Protégés de la hausse des cours, les consommateurs chinois devraient donc continuer de consommer plus et donc d'alimenter la hausse du prix du baril sur les marchés internationaux. Le cercle vicieux n'est pas près de s'arrêter », souffle Jacques de Boisséson.

YANN ROUSSEAU

Note(s) :

DE NOTRE CORRESPONDANT À PÉKIN.

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