Pour la Journée de l'enfant, dimanche 1er juin, les parents des enfants morts ou disparus dans les écoles de Luoshui, dans la province chinoise du Sichuan, détruites par le séisme du 12 mai, se sont d'abord rendus devant l'autel érigé au milieu des ruines. La semaine dernière, ils avaient marché jusqu'à Deyang, passant outre les supplications d'un officiel local, qui s'était agenouillé devant eux, de ne pas porter leurs doléances aux autorités du chef-lieu. La publication de la photo de la scène avait embarrassé les autorités.
Dimanche, les policiers en civil enregistraient les noms des journalistes tout en ajoutant qu'ils sont " entièrement libres de travailler ". Les parents, étonnamment peu loquaces, se sont rendus, en cortège, au centre de coordination des secours de Mianzhu, où ils se sont recueillis plusieurs minutes, avant de s'asseoir sur la chaussée, les yeux au sol, les portraits des enfants brandis au-dessus de leur tête. Un cordon de policiers empêchait discrètement les badauds de s'approcher, tandis que les officiels tentaient en vain de les faire entrer dans l'enceinte du centre pour les " protéger du soleil ". Le groupe a refusé de bouger.
" A Deyang, on nous a dit qu'on aurait des résultats le 3 juin. Hier, ils sont passés nous voir pour expliquer qu'il fallait attendre le 20. On veut au moins qu'on nous montre les plans de l'école ", dit une femme. De l'eau et des repas sont distribués. Un vice-directeur de la construction explique que l'expertise requiert plusieurs étapes.
Vendredi 30 mai, dans la cour de l'école de Luoshui, des mères attendaient, elles, sous un parapluie et regardaient des photos d'un temps meilleur avec des sourires qui tournaient souvent aux sanglots. La veille, une banderole écrite à la main avait été tendue au-dessus d'un monticule de gravats devant le seul bâtiment de l'école resté debout, celui de l'administration. On y lisait : " Rendez justice à nos enfants. "
Luoshui est une bourgade d'une dizaine de milliers d'habitants, située au nord de Chengdu, sertie dans un paysage de rizières et de collines. Ces parents attendent, en cet après-midi pluvieux, la venue d'experts dépêchés par le gouvernement provincial et la ville de Deyang, dont dépend Luoshui. " Qu'on nous dise s'il s'agit d'une erreur humaine ou d'une catastrophe naturelle ", tempête Wu Yongquan, un homme d'une quarantaine d'années, vêtu d'un long ciré rouge. " C'est évident que la construction a été bâclée ", poursuit-il, en désignant un vieil immeuble qui jouxte l'école et n'a pas une fissure.
Au loin, la silhouette d'une ancienne cimenterie, elle aussi intacte, barre l'horizon. Wu Yongquan était à Deyang quand le séisme a eu lieu. Il travaille pour une entreprise de matériaux de décoration. Il a mis une heure pour rentrer, rassuré car la plupart des bâtiments étaient encore debout. " On habite à la campagne, je pensais bien que notre maison n'aurait pas trop de problèmes. " En arrivant à l'école, il découvre pourtant que les deux étages supérieurs du bâtiment se sont complètement effondrés. Seule une partie du rez-de-chaussée subsiste. La salle de classe de son fils de 11 ans, Wu Youpeng, était la plus près de la sortie, et l'enfant, avec ses camarades s'est rué dehors. Le couloir s'est écroulé sous le poids des gravats.
Le groupe de parents presse un autre père, Li Dequan, d'accompagner les experts, parce qu'il a travaillé sur des chantiers. " Les experts se rendent bien compte qu'il y a des problèmes. Le ciment s'effrite. Mais ce n'est que la première étape ", conclut-il après la visite. Il soupçonne une collusion entre l'administration, et " l'équipe " désignée pour construire l'école qui, comme souvent dans les campagnes, n'est pas une entreprise de construction.
Cette école effondrée date de 1995. Construite dix ans auparavant, l'autre école primaire de Luoshui a tenu bon. Au total, sur 360 morts que compte la ville, au moins 180, donc plus de la moitié, ont péri dans l'écroulement des établissements scolaires : les 80 enfants de l'école primaire Luocheng, et 100 adolescents morts dans le lycée, qui s'est désagrégé en quelques secondes.
Les experts l'ont inspecté juste avant l'école, sous le regard d'un autre groupe de parents tout aussi vigilants et désemparés. " On ira en haut lieu si l'on nous dit que c'est la faute de la nature ", dit l'un d'eux. Juste après le séisme, des cadres locaux ont menacé des photographes chinois de casser leurs appareils s'ils prenaient des photos de l'école. Mais la visite du premier ministre, Wen Jiabao, a calmé leurs ardeurs.
Dans ce drame de la Chine rurale, ou plutôt " rurbaine ", les dizaines de bourgades sinistrées, à l'image de Luoshui, sont des villes champignons au centre rempli de commerces, dont une grande partie de la population travaille aux champs.
Le niveau de vie n'est pas comparable à celui des grandes villes. Ici, la fragilité suspecte des écoles saute aux yeux : à Wufu, un bourg proche de la ville de Mianzhu, l'école primaire Fuxin n° 2 est le seul bâtiment détruit et près de 125 élèves ont péri.
Depuis plusieurs jours, les publications chinoises les plus progressistes, comme Caijing ou le groupe de presse Nanfang, accordent une plus grande place au scandale des écoles, mettant en question les méthodes du gouvernement. Dans le Beijing News, un universitaire de Pékin a appelé à l'organisation d'élections au niveau local, comme le prévoit la Constitution, pour responsabiliser les cadres dirigeants.
Le 29 mai, un inspecteur adjoint du département d'éducation du Sichuan, Lin Qiang, est sorti à son tour de sa réserve. Dans un interview au Nanfang Zhoumo, demandant de vraies enquêtes sur les raisons des défauts de construction, il a ainsi estimé que " devant autant de jeunes vies emportées, on ne mérite pas la qualification d'êtres humains, et encore moins celle d'éducateurs, si l'on ne donne pas priorité à la vie sur la politique et la bureaucratie, si nous, officiels, continuons de tenter d'échapper à nos responsabilités et de nous protéger ".
Brice Pedroletti
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