mardi 3 juin 2008

Chine-Japon : je t'aide moi non plus - Sylvie Kauffmann

Le Monde - Dernière heure, mardi, 3 juin 2008, p. 32
Lettre d'Asie
Mercredi 28 mai, le gouvernement japonais a annoncé que la Chine avait formulé auprès de son ambassade à Pékin une demande d'assistance matérielle pour les survivants du tremblement de terre qui a dévasté le Sichuan le 12 mai.


Jusque-là, tout va bien. Un groupe de 50 Japonais a été, le 16 mai, la première équipe de sauveteurs étrangers à arriver sur les lieux du séisme, avec la bénédiction des autorités chinoises, et le caractère historique de l'événement a été souligné de part et d'autre. Historique au regard du lourd passé commun, de l'occupation d'une bonne partie de la Chine des années 1930 à 1945 par les troupes impériales japonaises et de son lot d'atrocités : rien n'est simple entre les deux pays, qui ressassent un éternel ressentiment. Mais, ces derniers mois, de gros progrès ont été réalisés, et la volonté politique semble enfin l'emporter, à Pékin comme à Tokyo. L'arrivée des sauveteurs nippons dans la tragédie du Sichuan, une région tenue par le Kuomintang pendant la guerre, abondamment bombardée mais pas occupée par les Japonais, a donc été saluée comme un bien né du malheur.

Aux prises avec 5 millions de sans-abri qui ont grand besoin de tentes et de couvertures, les autorités chinoises font alors appel aux nouveaux amis japonais. Ces derniers, pris au dépourvu en 1995 par leur propre tremblement de terre à Kobé, sont désormais préparés à toutes sortes de désastres : ils se font un plaisir d'acquiescer et se proposent même de transporter la cargaison par avion militaire, comme l'ont fait les Américains et les Russes ces dernières semaines. " Selon nos informations, affirme le porte-parole du gouvernement, Nobutaka Machimura, à Tokyo, le 28 mai, il nous est demandé de livrer, à l'aide d'un avion des forces d'autodéfense japonaises, des tentes et des couvertures dans un aéroport chinois. La décision ne devrait pas tarder à être prise, nous y travaillons. "

C'est là que les choses se gâtent. La faute incombe aux médias qui, saisis par la haute teneur symbolique de l'affaire, célèbrent prématurément ce vol historique - le premier d'un appareil militaire japonais en Chine depuis 1945. Après les journaux japonais, la presse internationale s'émerveille à longueur d'éditoriaux. Mais tout le monde n'est pas émerveillé. Le 30 mai, le ministre japonais de la défense, Shigeru Ishiba, évoque " la forte réaction négative qui s'exprime sur les sites " Web chinois. A Pékin et à Tokyo, le rétropédalage est rapidement amorcé : le C-130 militaire ne décollera pas. Un avion commercial sera affrété à la place. On ferme le ban.

L'incident est éloquent à double titre. D'abord, parce qu'il montre que, malgré le nouvel élan donné aux relations sino-japonaises par le premier ministre Yasuo Fukuda, malgré le succès de la visite de cinq jours que venait d'achever le président chinois Hu Jintao au Japon lorsque la terre a tremblé au Sichuan, les nerfs restent à fleur de peau. Samedi 31 mai, M. Ishiba, le ministre de la défense, siégeait au côté du chef d'état major adjoint de l'armée chinoise, le général Ma Xiaotiang, à la tribune d'une conférence annuelle sur la sécurité en Asie, organisée à Singapour par l'Institut international d'études stratégiques (IISS) de Londres. L'affaire a été abordée. Contrit, le Japonais a déclaré : " Si nous voulons aider la Chine, nous devons être attentifs aux sensibilités et à la culture du peuple chinois. Nous avons été en guerre, c'est notre histoire. " Le général chinois a évoqué " les raisons historiques et culturelles " qui expliquent la réaction " populaire " en Chine, puis a abondamment remercié les pays étrangers, " dont le Japon ", venus en aide aux 137 000 soldats chinois déployés dans la région depuis le 12 mai. Chacun a eu le bon goût d'éluder la question de savoir qui, des Japonais ou des Chinois, avait eu l'idée de la livraison par avion militaire.

La deuxième leçon de l'affaire du C-130 nippon est plus intéressante encore : le pouvoir chinois non seulement tient compte mais craint les réactions de son opinion publique. L'idée communément acceptée est que, dans les régimes communistes, rien n'est exprimé par hasard. Mais en Chine, la réalité est plus complexe. Qu'il s'agisse des réactions aux positions occidentales sur le Tibet, du boycottage des produits français ou de l'avion des forces japonaises, les blogueurs semblent avoir le pouvoir d'enflammer une partie de la société, et le régime chinois apparaît comme une force modératrice, soucieuse d'éviter les excès. On peut soupçonner que cette agitation n'est que calcul et que tout se remettra en place opportunément. On peut aussi, comme plusieurs experts, dont l'Australien Wang Gungwu, l'un des meilleurs connaisseurs de la Chine, penser que la sensibilité du régime chinois aux blogs est réelle, car, dit-il, " au bout du compte, c'est une frustration à l'égard du pouvoir qui s'y exprime ". " Elle est détournée vers des sujets comme le Tibet, Carrefour ou le Japon, relève-t-il, mais c'est bien, au fond, une lutte interne qui s'y déroule. "

Post-scriptum.

Les familles dont le seul enfant a été tué ou grièvement blessé dans le tremblement de terre du Sichuan pourront obtenir un certificat leur permettant d'avoir un autre enfant, a annoncé le comité de planning familial et de la population de Chengdu, capitale du Sichuan. Le nombre d'enfants parmi les 68 977 morts n'a pas été rendu public.

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