Débat. Les investissements de Pékin, pillage ou aubaine pour le continent noir ? Après l'Occident, la Chine va-t-elle achever de piller les ressources de l'Afrique ? Deux journalistes, Serge Michel et Michel Beuret, viennent de publier chez Grasset un livre très documenté sur le sujet : La Chinafrique, Pékin à la conquête du continent noir (avec des photos de Paolo Woods). Leur conclusion n'est pas aussi pessimiste qu'on pourrait l'imaginer.
La «Chinafrique» évoque la «Françafrique». Cela signifie-t-il que la Chine a remplacé la France dans la vie politique et économique de l'Afrique ?
La vie économique, c'est sûr. On voit des Chinois prendre des parts de marché aux Français un peu partout. Il y a même des entreprises françaises qui renoncent à répondre à des appels d'offres car elles savent qu'elles ne gagneront pas contre les Chinois. Surtout, contrairement à la France, les Chinois n'ont pas de pré carré colonial, ils sont présents dans les 53 pays d'Afrique, même ceux encore en relation avec Taïwan. Sur le plan politique, c'est moins sûr. Les dictateurs soutenus par la France, qui sont les piliers de la Françafrique, sont toujours là, tel Omar Bongo.
Des entreprises françaises renoncent vraiment à répondre à des appels d'offres ?
J'ai un exemple de projet d'assainissement au Sénégal : les Chinois sont arrivés à moins d'un tiers du coût proposé par les Français ! A des prix pareils, ceux-ci s'arrachent les cheveux et, la fois d'après, ne prennent même pas la peine de répondre. On le voit pour tous les grands projets de ports le long de l'Afrique de l'Ouest, de chemins de fer ou de barrages. Les Chinois ont un gros avantage : ils peuvent, d'un claquement de doigts, amener 10 000 personnes pour travailler sur un projet pendant deux ans. Et ces 10 000 personnes mangent chinois, regardent la télé chinoise... bâtissent l'infrastructure puis redisparaissent en Chine sans laisser de traces. Aucun autre pays n'a une telle force de déploiement.
Et ce sont justement les infrastructures dont l'Afrique a besoin pour décoller, les Chinois l'ont bien compris. Pendant des années, on s'est demandé pourquoi l'Afrique restait aussi pauvre et en dehors de la mondialisation. C'est parce qu'elle n'avait pas d'infrastructures : ni barrages, ni routes, ni électricité. Vous ne pouvez pas monter de business si vous n'avez pas d'électricité !
Le commerce bilatéral entre Chine et Afrique passerait de 10 milliards de dollars en 2000 à 100 milliards en 2010 ?
Une grosse part est due au pétrole. L'Afrique représente 30 % des importations chinoises en pétrole. Son plus gros fournisseur est l'Angola qui est passé devant l'Arabie Saoudite et l'Iran.
Vous dites que ces échanges constituent une opportunité pour les deux.
Il y a des points d'interrogation quand même. Dans l'environnement notamment. Les entreprises chinoises n'ont ni charte de l'environnement, ni normes précises. En même temps, l'Afrique a été exploitée pendant un siècle par les Européens, alors on n'a guère de leçons à leur donner. Ce ne sont pas les Chinois qui ont envoyé des déchets toxiques en Côte-d'Ivoire ! Ce que je vois, c'est qu'il y a une formidable énergie chinoise pour l'Afrique, que les Européens, pour leur part, ont perdu.
Cela ne gêne pas les Africains que les Chinois viennent, prennent et repartent ? Qu'il y ait si peu d'échanges ?
Il y a un échange intensif avec les élites. A partir du moment où on est au pouvoir, on devient le copain des Chinois. Mais, c'est vrai, les échanges avec la population sont faibles. Les Chinois se mélangent très peu. Ce n'est pas un hasard s'il y a si peu de mariages mixtes. Même sur les chantiers où Africains et Chinois se retrouvent, ils ne vont pas boire de bière ensemble à la fin du boulot. Il faut dire que c'est dur de trouver deux cultures plus éloignées...
Le grand danger pour l'Afrique, c'est de retomber dans un schéma colonial où la Chine se contenterait d'importer des matières premières et d'exporter ses produits de base.
C'est une tendance lourde, la Chine en Afrique ?
On n'en est qu'au début. Mais, vu que le système est nouveau, il est fragile. Dans les pays où la Chine a voulu faire vite, comme en Angola, elle a eu des problèmes. Les Chinois sont très peu préparés à l'Afrique. Ils n'ont qu'un seul institut de recherche sur le sujet. Ils découvrent les mouvements rebelles africains au fur et à mesure des enlèvements dont leurs équipes font l'objet ! Dans certains pays, le sentiment antichinois est assez fort, comme en Zambie à la suite d'accidents du travail dans une mine de cuivre, au Sénégal où les commerçants sont furieux contre les Chinois qui cassent les prix... Si elle va trop vite, la Chine peut s'exposer à un retour de boomerang.
La Chine en Afrique, c'est plus qu'une parabole de la mondialisation, écrivez-vous, c'est son «parachèvement». Expliquez-nous.
Dans les années 80, l'Occident est allé sous-traiter en Chine une partie de sa production. La Chine a très bien géré ça, en exigeant des joint-ventures 50-50; elle a amassé du cash et s'est développée. Pour y parvenir, elle a eu besoin de matières premières, ce qui a fait grimper les prix de celles-ci en Afrique. Elle a donc enrichi l'Afrique sans y aller, puis elle y est allée. L'étape suivante logique, c'est la montée en puissance de l'Afrique, si celle-ci sait aussi bien gérer le système que la Chine en son temps.
Alexandra Schwartzbrod; Recueilli par ALEXANDRA SCHWARTZBROD
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