La Chine est à la mode à Rome, mais la diversité des interlocuteurs et spécialistes de ce pays au Vatican est à la mesure de la complexité de la situation de l'Église catholique chinoise. ROME, de notre envoyée spéciale permanente.
Samedi 24 mai, à Rome. Sous un soleil déjà estival, malgré l'heure matinale, une petite foule se presse devant la basilique Sainte-Marie-Majeure. Groupe inhabituel, car ne sont là que... des Chinois. De tous âges, étudiants ou jeunes prêtres, religieuses ou laïcs, en famille ou seuls... Chinois de la Chine populaire, de Hong Kong, de Singapour ou de Taïwan. Certains ont encore le visage ensommeillé, car ils sont partis tôt de Milan, Trévise, Prato, Florence ou Naples. Ils se sont donné rendez-vous pour la Journée de prière pour la Chine, instituée par Benoît XVI, tous les 24 mai. « Toute la Chine catholique de l'Italie est ici », note en riant un jeune salésien chinois, à l'italien impeccable. « Pour la première fois, nous sommes réunis, catholiques officiels ou clandestins », glisse-t-il encore. Le cardinal Ivan Diaz, préfet de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, qui préside la célébration, se réjouit de cette unité exceptionnelle : « Au paradis, il n'y aura ni catholiques officiels, ni catholiques souterrains, parce que nous serons tous fils de Dieu. »
Mais il est rare de voir les Chinois ainsi rassemblés pour parler d'une seule voix à Rome. Car si, depuis Jean-Paul II et surtout Benoît XVI, l'Église de ce pays, et sa réunification, sont l'une des priorités du Vatican, reste à savoir quelle Église. Et quelle Chine.
Ainsi, quinze jours avant, le 6 mai, c'était une Chine très officielle qui s'était retrouvée dans la grande salle d'audience Paul-VI, au coeur du Vatican. Les personnels de l'ambassade de Chine près de l'Italie, ou du ministère chinois des affaires étrangères, à l'origine de cette initiative, assistaient au concert exceptionnel donné par l'orchestre de Shanghaï en l'honneur du pape. Mais parmi les musiciens qui jouaient ce Requiem de Mozart, devant Benoît XVI et sous la statue du Christ ressuscité, combien connaissaient la vraie signification de ce morceau religieux, d'ailleurs magistralement interprété ?
Peu importe, le geste était là, et L'Osservatore Romano, le quotidien édité par le Saint-Siège, a choisi de célébrer l'événement, le lendemain, en publiant, en une, le discours du pape en chinois.
Plus discrets, sur le Janicule, sous les cyprès des jardins de l'Urbanienne, l'université pontificale pour la mission, de jeunes étudiants chinois se promènent, un livre d'étude à la main. Ils habitent ici, et se fondent parmi les jeunes religieux ou religieuses de tous pays qui viennent étudier dans cette université pontificale rattachée à la Congrégation pour l'évangélisation des peuples. Il y a deux ans, on avait émis l'idée de réserver un bâtiment, un « collège » spécialement pour les futurs prêtres chinois. Mais le projet fut abandonné : trop voyant, encore. Aujourd'hui, un religieux, qui a lui-même longtemps été en Chine, fait le lien entre tous ces étudiants, dans la plus grande discrétion, donc...
Pourtant, le 21 mars dernier, Vendredi saint, c'est devant les caméras du monde entier que s'est déroulé le chemin de croix du pape, sur une méditation écrite par l'évêque de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen, avec de multiples allusions au martyre de l'Église du silence en Chine, sans que le gouvernement de ce pays ne semble en prendre ombrage. D'ailleurs, à peu près au même moment, de passage à Rome lors de la Semaine sainte, un jeune manager chinois, qui travaille auprès d'entreprises multinationales, prenait une heure sur son agenda plus que chargé, pour aller rendre visite à un cardinal à la retraite, auquel le lie une longue amitié. Dans sa petite valise, quelques plantes médicinales ramenées de son pays spécialement pour le prélat. Ce cardinal n'est pas le seul à s'intéresser à la Chine, nombre d'entre eux ont ici leur propre réseau. Sans parler des congrégations religieuses bien implantées en Chine, verbites ou jésuites par exemple, qui font aussi venir des jeunes religieux de ce pays, et transmettent leurs informations à l'entourage du pape...
« C'est que la Chine est elle-même encore très divisée sur le problème religieux, observe le P. Bernardo Cervellera, directeur de l'agence de presse Asianews. Dans le même temps, vous avez le ministère des affaires étrangères qui se réjouit de la lettre envoyée par le pape aux catholiques de Chine, et le responsable de l'association patriotique qui se répand en critiques dures sur le Vatican ! » Le P. Cervellera est lui-même l'un des éléments de cette complexité sino-romaine. Dans le quartier tranquille du Monteverde, où sont encore installées nombre de maisons religieuses, il mène une petite équipe de jeunes journalistes, dans des locaux installés au fond du jardin de l'Institut pontifical pour les missions étrangères, dont il dépend.
En quelques années, ce missionnaire, à la réputation de fonceur, a créé Asianews, l'une des principales sources d'information sur l'Église en Asie et l'Asie au Vatican. Une agence de presse que ce passionné de l'Asie a eu l'idée, en 2003, de mettre sur le Web : le très sérieux bulletin réservé à une petite audience de spécialistes est alors devenu un site visible du monde entier, en italien, traduit simultanément en anglais, et... en chinois. Ce site qui fonctionne grâce aux informations d'une trentaine de correspondants installés en Asie, et traite aussi d'économie ou de social, est très vite devenu un instrument précieux pour tout ce qui concerne la Chine. Il faut dire que Bernardo, comme on l'appelle ici, y a laissé une partie de son coeur. Il n'est pas rare qu'il diffuse des informations de première main, une rencontre secrète à Pékin, ou la prochaine ordination d'un évêque chinois.
Un succès qui peut d'ailleurs en gêner d'autres, à Rome. Dans les couloirs du Vatican, on reproche à Asianews son manque de diplomatie, ses articles négatifs à l'encontre de la Chine, et le parti pris pour les « Chinois de l'ombre », ceux qui refusent de reconnaître l'Église officielle... Critiques que le P. Cervellera connaît, mais balaie d'un grand geste : « En Occident, il y a un faux irénisme, qui veut le dialogue avec la Chine et les rapports diplomatiques à tout prix, et qui cherche à cacher les persécutions. » Il ne faut pas compter sur le P. Cervellera pour taire ce qui fâche. On est loin, ici, de la diplomatie très prudente de la Secrétairerie d'État. On a parfois pu dire que cette pluralité d'interlocuteurs à Rome, sur la Chine, finissait par paralyser l'action du pape. Mais après tout, lui-même profite de cette diversité, pour souffler habilement le chaud et le froid avec l'empire du Milieu : le concert offert par le gouvernement, mais aussi le chemin de croix écrit par celui qui fut et reste l'un de leurs principaux opposants.
Encadré(s) :
La lettre aux catholiques chinois
Dans une lettre, rendue publique le 6 juillet 2007, Benoît XVI dit vouloir en finir avec la séparation entre Église souterraine et officielle : il ne peut y avoir qu'une Église en Chine. Il explique le rôle central de l'évêque, « principe et fondement visible de l'unité dans l'Église particulière », à la fois en communion avec les autres évêques, et avec le pape. En effet, l'union de cet épiscopat avec le pape est constitutive de l'Église catholique et il n'est pas possible de constituer « une Église indépendante ». Pour assurer cette union, le pape rappelle que sa porte est ouverte à tous les évêques qui souhaiteraient marquer leur lien avec le pape, même ceux nommés sans l'accord du Saint-Siège. Inversement, il supprime toutes les facultés qui avaient été données à l'Église clandestine à l'époque de la répression. Mais la condition pour que cette rupture se résorbe, c'est que, rappelle-t-il enfin, l'Église jouisse de la liberté de nomination des évêques.
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