Le massif plan de relance de 4 000 milliards de yuans (environ 455 milliards d'euros), annoncé le 9 novembre par le gouvernement chinois, est un meuble à tiroirs : la somme, qui correspond à 16 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, comprend en effet des investissements décidés avant la crise financière. En réalité, remarquent les économistes, le dernier niveau du plan pourrait se situer dans une fourchette comprise entre 600 et 1 000 milliards de yuans. " C'est moins spectaculaire que ce que l'on avait initialement pensé, mais ça reste quand même un plan très important, plus élevé en proportion du produit intérieur brut - PIB - que, par exemple, celui annoncé en Allemagne ", explique Jean-François Huchet, directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine, à Hongkong. " La Chine a voulu montrer - avant le sommet du G20 qui s'est tenu le 15 novembre à Washington - qu'elle était bien décidée à assurer une relance de sa croissance interne ", analyse Frank Gong, de la banque JP Morgan.
Un premier déboursement d'une centaine de milliards de yuans, qui sera effectué à la fin de l'année, va se décomposer de la manière suivante : 33 % seront consacrés au développement du secteur rural, 25 % à la modernisation des transports et moyens de communication (voies ferrées, routes, aéroports), 13 % aux dépenses de santé, de services sociaux et d'éducation, 12 % aux économies d'énergie, 10 % aux constructions de logements de type HLM et 6 % à la recherche-développement. Le quotidien gouvernemental anglophone China Daily consacrait la semaine dernière une pleine page à une présentation minutieuse de ce plan, dressant notamment la liste des projets d'infrastructure, depuis la construction de centrales nucléaires, à celle d'un gazoduc traversant le pays d'ouest en est, en passant par la construction d'aéroports en Mongolie intérieure et de barrages dans trois provinces pauvres du pays.
L'annonce en fanfare de ce plan témoigne que Pékin, contrairement aux déclarations initiales, est en train de comprendre l'ampleur de la crise et son impact potentiel sur la croissance du pays. Le premier ministre Wen Jiabao lui-même vient d'admettre que les conséquences de la crise financière mondiale sur l'économie chinoise " sont bien pires que prévu ". " Jusqu'à très récemment, les responsables chinois semblaient vivre sur une autre planète, et leur compréhension des mécanismes de la crise financière était très limitée ", constate Andy Xie, un analyste économique basé à Shanghaï ; " l'annonce - de ce plan de relance - va probablement refléter un changement d'attitude de la part des hauts responsables, ce qui aura ensuite une incidence sur le comportement des cadres de rangs intermédiaires ". L'optimisme affiché se fondait sur le fait que le système financier chinois reste encore largement en retrait des circuits mondiaux, et que la bonne tenue de la consommation intérieure devait contrebalancer la baisse des exportations.
Les dirigeants de la République populaire commencent donc à mesurer aujourd'hui la portée des chiffres que vient de publier le Bureau national des statistiques : la croissance de la production industrielle a été de 8,2 % en octobre, contre 11,4 % durant le même mois de 2007. " C'est un résultat très faible. Tout le monde s'attendait à ce que l'économie chinoise ralentisse, mais pas si fortement ", constate un autre analyste, le Hongkongais Benny Lui : " Cette faible croissance industrielle indique que le risque d'un brutal atterrissage reste une possibilité ", ajoute-t-il. D'autant que les banques ont beaucoup prêté aux promoteurs immobiliers, au secteur automobile et à des aciéries, aujourd'hui menacés de défaillance par le repli de la croissance. Le niveau des créances douteuses dans le bilan des banques chinoises, aujourd'hui officiellement de 2 %, pourrait ainsi repartir à la hausse, même s'il n'atteindra peut-être pas les 28 % des années 1990, dus aux médiocres performances des grandes entreprises d'Etat : le gouvernement avait été contraint de recapitaliser massivement le système financier menacé.
A l'heure où la Chine, forte de ses colossales réserves en devises - 1 900 milliards de dollars - apparaît à certains comme un recours contre la crise, les observateurs soulignent que la priorité de la quatrième puissance économique mondiale va être d'enrayer la contagion à l'intérieur de ses frontières. Le plan de relance démontre notamment le souci de Pékin de moderniser les campagnes dans l'espoir de créer les conditions du développement d'un marché intérieur qui ne correspond pas encore au poids démographique du pays.
Zhu Jiejin, un chercheur chinois rattaché à l'université de Toronto, estime que " les pays étrangers peuvent juger la puissance chinoise par son produit national brut - PNB - et ses réserves de change, mais la Chine sait bien que sa force ne dépend pas pleinement de ces deux seuls aspects. Elle fait face à de nombreux problèmes, et sa politique sera donc de surmonter ses propres difficultés, tout en montrant que cela est un moyen de résoudre les problèmes du monde ".
" La Chine va agir selon ses principes et ne jouera pas les sauveurs simplement parce que s'exerce sur elle une pression internationale ", prévenait avant le G20 le professeur d'économie Xiong Wei. Le ralentissement de la croissance est tel, confirme M. Huchet, qu'il " ne faut pas attendre trop de la Chine. Elle doit d'abord se sauver elle-même avant de se porter au secours des autres ".
Bruno Philip
PHOTO - REUTERS
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