Le monde est en train de sombrer dans ce qui pourrait être l'un des pires ralentissements économiques depuis un quart de siècle, voire depuis la Grande Dépression. A plus d'un titre, cette crise est « made in America ». L'Amérique a exporté ses prêts toxiques dans le monde entier. Elle a exporté sa philosophie de marchés déréglementés. Elle a exporté sa culture de l'irresponsabilité des dirigeants d'entreprise et de leurs stock-options qui ont contribué à la débâcle.
Le gouvernement Bush a dû finalement suivre les recommandations des économistes : prendre des participations dans les banques. Or, comme toujours, le diable est dans les détails et Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, a réussi à faire rater cette bonne idée. Il a recapitalisé les banques d'une manière telle que cela n'a pas rouvert la voie à une reprise des crédits bancaires. Ce qui est un mauvais signe pour l'économie. Pire encore, Paulson n'a même pas imposé aux banques américaines des conditions similaires à celles mises par Gordon Brown en Grande-Bretagne. Ce qui est inquiétant dans cette mauvaise transaction pour l'Etat américain, c'est l'accumulation menaçante de la dette nationale. Avant la crise financière, il était prévu que son montant dépasse les 9.000 milliards de dollars contre 5.700 milliards en 2001. Or, en 2008, le déficit sera proche des 500 milliards de dollars et beaucoup plus encore en 2009.
L'Amérique a aujourd'hui besoin de très importantes mesures de relance économique. Pourtant, comme lors de la Grande Dépression, les financiers de Wall Street, les mêmes qui ont créé cette crise, vont lancer des appels à la réduction des dépenses budgétaires.
Comme on pouvait s'y attendre, la crise a atteint les marchés émergents et les pays moins développés. Alors que l'Amérique absorbe l'épargne mondiale pour régler ses problèmes, que les primes de risque flambent, que les bénéfices des entreprises, le commerce international, les cours des matières premières s'effondrent, les pays en développement s'apprêtent, eux aussi, à traverser des moments difficiles. Il est fort probable que tous les pays qui, avant la crise, avaient d'importants déficits commerciaux, une dette nationale élevée ou des liens commerciaux étroits avec les Etats-Unis souffriront plus que les autres.
Les pays qui n'ont pas totalement libéralisé leurs marchés financiers et de capitaux, tels que la Chine, peuvent se féliciter de ne pas avoir suivi les recommandations de Henry Paulson et du Trésor américain.
Nombreux sont déjà ceux qui se sont tournés vers le Fonds monétaire international. Mais il est à craindre que, pour certains de ces pays, le Fonds ressorte ses vieilles potions, comme la contraction de la masse monétaire, la réduction des dépenses budgétaires, qui ne feront qu'aggraver les inégalités dans le monde. Tandis que les pays développés s'efforcent de mener des politiques anticycliques de stabilisation, les pays en développement seront contraints à des politiques de déstabilisation, qui feront fuir les capitaux au moment même où ils en ont le plus besoin.
Il y a dix ans, au moment de la crise financière asiatique, on parlait beaucoup de la nécessité de réformer l'architecture financière mondiale. Peu de choses ont été faites depuis.
Nous sommes à un nouveau tournant dans l'histoire comme à Bretton Woods en 1944. Les institutions financières mondiales ont bien conscience de la nécessité d'une nouvelle réforme, mais elles n'avancent qu'à la vitesse d'un escargot. Elles n'ont rien fait pour empêcher la crise actuelle et on peut s'inquiéter de leur capacité à rebondir après coup.
Il a fallu quinze années et une guerre mondiale pour rassembler nos forces dans le but de remédier aux faiblesses du système financier mondial à l'origine de la Grande Dépression. Espérons qu'il ne faudra pas attendre aussi longtemps cette fois-ci car, vu le niveau actuel d'interdépendance des économies dans le monde, les coûts seraient bien trop élevés.
Si les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dominaient les anciens accords de Bretton Woods, la situation est aujourd'hui très différente. Qui plus est, les institutions de Bretton Woods ont été définies à l'origine par un ensemble de doctrines économiques inefficaces de nos jours, non seulement pour les pays en développement mais aussi pour les fiefs capitalistes. Pour oeuvrer efficacement en vue de l'instauration d'un système financier mondial plus stable et plus équitable, le sommet du G20 à Washington le 15 novembre prochain devra tenir compte des nouvelles réalités.
Note(s) :
Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate.
JOSEPH E. STIGLITZ est prix Nobel d'économie 2001 et professeur à l'université de Columbia à New York.
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