L'opacité des statistiques ne parvient pas à dissimuler la dégradation du marché du travail. La Chine pourrait compter cette année 250 millions de demandeurs d'emploi.
Les nouveaux diplômés de l'enseignement supérieur, pressés d'entrer dans la vie active, pèsent de tout leur poids sur un marché du travail déjà confronté aux conséquences des catastrophes naturelles, des fermetures d'usines, du ralentissement économique et de la récession mondiale. Le ministre des Ressources humaines et de la Protection sociale, Yin Weimin, a déjà fait part de ses craintes. En premier lieu, le nombre de jeunes demandeurs d'emploi atteint un niveau historique. Cette année, selon le ministère de l'Education, 5,59 millions d'étudiants sont sortis de l'enseignement supérieur avec un diplôme en poche. Mais, comme 700 000 à 800 000 jeunes de la promotion 2007 n'ont pas encore trouvé de travail, ce sont en fait plus de 6 millions de diplômés qui sont à la recherche d'un emploi. Par ailleurs, les 20 000 premiers diplômés volontaires pour aller travailler en zone rurale dans le cadre d'un vaste programme de soutien à l'éducation, à l'agriculture, à la santé et de lutte contre la pauvreté [san zhi yi fu] ont terminé leur service et attendent d'être réembauchés. Actuellement, les diplômés du supérieur sont donc en train de remplacer les salariés licenciés par les entreprises publiques comme principale source de tension sur le marché du travail.
Les jeunes diplômés sont loin d'être les seuls à souffrir. You Jun, directeur de l'Institut de recherche scientifique sur le travail au ministère des Ressources humaines et de la Protection sociale, nous a fourni une série de chiffres. Au cours du 11e plan quinquennal [2006-2010], 24 millions de personnes devraient arriver chaque année sur le marché du travail dans les villes, alors que les offres d'emploi ne dépasseront pas 12 millions (laissant sur le carreau 12 millions de travailleurs) du fait d'un taux de croissance compris entre 8 % et 9 %. Plus grave encore : dans les zones rurales, 100 à 150 millions de personnes ne trouvent pas de débouchés. Au premier semestre 2008, les villes ont enregistré 6,4 millions de nouvelles embauches - 64 % de l'objectif annuel ; 2,82 millions de salariés licenciés par le secteur public ont retrouvé du travail et 770 000 personnes en situation précaire ont décroché un emploi stable. Au cours du premier trimestre de cette année, le taux de chômeurs dûment inscrits en ville était de 4 %, soit une baisse de 0,1 point en glissement annuel. Selon les estimations de Tian Chengping, l'ancien ministre du Travail et de la Protection sociale, on pourrait bien franchir cette année la barre des 50 millions de chômeurs en ville et des 200 millions en zone rurale.
Les données publiées officiellement sont incompréhensibles pour les non-initiés. Ainsi, ce qu'on appelle le taux de chômeurs dûment inscrits n'est qu'un leurre pour se tromper soi-même et tromper les autres, sans parler de nos autres trouvailles en matière de néologismes à caractère parfois discriminatoire ou humiliant comme les "personnes en attente d'emploi", les "sans-poste" des entreprises publiques, les "réaffectés", les "membres oisifs de la société" ou les "sans-emploi-fixe". On ne révèle jamais à la population le véritable taux de chômage.
Une menace colossale pour l'harmonie de la société
Nombreux sont les jeunes ayant abandonné leurs études ou les diplômés de l'enseignement supérieur et secondaire traînent dans les villes et les villages, formant peu à peu une énorme cohorte de sans-emploi. Ils représentent une menace colossale pour l'harmonie de n'importe quelle société ! Si le gouvernement les néglige et va même jusqu'à ne pas vouloir ou ne pas daigner reconnaître le vrai taux du chômage, comment pourra-t-il adopter des mesures réalistes pour faire face à la crise qui s'aggrave de jour en jour ?
Il est de plus en plus difficile de trouver un emploi. De nombreux étudiants vivent avec seulement quelques centaines de yuans [100 yuans valent 11 euros] par mois sans être couverts par aucun système de protection sociale. Les autorités les exhortent à changer de mentalité et à s'engager en première ligne dans les régions aux conditions de vie plus difficiles. Mais la réalité est cruelle : tandis que le niveau des salaires dans la haute administration ou dans les grandes entreprises laisse béat - la rémunération des cadres et des employés y atteint ou y dépasse celle en vigueur dans les pays émergents et développés -, la main-d'oeuvre en Chine reste malgré tout extrêmement bon marché et de nombreux jeunes, après avoir étudié d'arrache-pied durant une dizaine d'années, ne parviennent qu'à gagner quelques centaines de yuans par mois. Comment, avec cela, pourraient-ils entretenir leurs proches ?
De nombreuses familles se ruinent ou presque pour leur enfant, mais si celui-ci, une fois diplômé, ne trouve pas d'emploi et ne parvient pas à être financièrement autonome, il n'est pas étonnant que surviennent régulièrement les drames que l'on sait [les suicides sont nombreux] dans la communauté étudiante. La pauvreté n'est pas redoutable en soi (tous les pays et toutes les sociétés ont des pauvres). Ce qui est effrayant, c'est la pauvreté engendrée par un système ; ce qui est effrayant, c'est quand la route vers l'emploi se rétrécit de plus en plus pour les gens ordinaires !
(Nanfang Wang, Canton)
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