L'annonce d'un vaste plan de relance de l'économie chinoise, plus important que ce que la plupart des analystes prévoyaient, traduit l'inquiétude du gouvernement de Pékin face à la détérioration rapide des indicateurs économiques. Il est encore trop tôt pour analyser dans le détail l'impact de ce plan de relance.
Mais sa taille - près de 546 milliards de dollars (431,3 milliards d'euros soit près de 16 % du PIB) - indique que la version optimiste d'une Chine traversant sans trop d'embûches la crise économique mondiale en se passant d'une intervention importante de l'Etat devenait de plus en plus difficilement tenable. Quels éléments ont pu pousser les autorités chinoises à intervenir aussi massivement ?
Premièrement, l'étendue des répercussions domestiques de la baisse des exportations. Les baisses de commandes adressées par les clients étrangers ont des répercussions en chaîne importantes sur la myriade de PME sous-traitantes qui fournissent des produits semi-finis aux firmes (chinoises ou étrangères) exportatrices opérant sur le territoire chinois. Les statistiques appréhendaient assez mal ces effets.
Par ailleurs, ces PME sont souvent regroupées par métier dans des districts industriels bien délimités géographiquement. L'impact économique et social de la baisse des exportations est amplifié dans certaines zones géographiques du delta de la rivière des Perles près d'Hongkong ou bien dans les provinces autour de Shanghaï.
Enfin, ces PME sous-traitantes chinoises doivent fonctionner sur des volumes de commandes importants pour compenser des marges bénéficiaires à l'unité produite très faibles, cela en raison de la concurrence très vive à laquelle elles se livrent entre elles et de la faible valeur ajoutée captée par rapport aux firmes étrangères qui vendent le produit fini aux Etats-Unis ou en Europe.
La baisse des commandes de clients étrangers peut donc avoir des effets catastrophiques pour les sous-traitants les plus mal organisés. Dans un contexte où il est toujours difficile pour les PME d'obtenir des prêts auprès des grandes banques, publiques qui préfèrent prêter aux grandes entreprises d'Etat, ces sous-traitants n'ont plus de liquidités pour payer matières premières et salaires.
Deuxièmement, la réorientation naturelle de la croissance chinoise sur la consommation, objectif antérieur à la crise fixé par le gouvernement chinois dès 2003, aurait eu du mal à se matérialiser de manière significative en l'espace de quelques mois. Les ménages chinois constituent une épargne de précaution pour faire face aux coûts importants des dépenses d'éducation, mais également en raison de l'insuffisance ou de l'absence de couverture sociale pour les dépenses de retraites et de santé. En sus de cette donnée structurelle, il fallait également tenir compte de deux phénomènes conjoncturels qui auraient certainement eu un impact négatif dans les prochains mois sur la consommation des ménages.
Même si l'on a encore du mal à en mesurer l'étendue, notamment en raison de l'opacité concernant l'identité des détenteurs de comptes en actions en Chine, la baisse vertigineuse depuis le printemps dernier des Bourses de Shanghaï (- 65 %) et d'Hongkong (- 50 %) devrait affecter les revenus anticipés des classes moyennes. Par ailleurs, l'impact psychologique de la crise internationale, qui avait largement épargné les ménages urbains chinois lors de la crise asiatique de 1998, paraissait cette fois les toucher plus directement. Ces facteurs commençaient à avoir des répercussions négatives sur l'immobilier, qui est un des principaux piliers de la croissance chinoise depuis le milieu des années 1990.
Ce n'est sans doute pas un hasard si au-delà des traditionnelles dépenses d'infrastructures sur lesquelles il reste certes encore beaucoup à faire en Chine, le plan de relance semble donner la part du lion à la progression des dépenses sociales et au soutien à l'immobilier pour les revenus intermédiaires. La taille annoncée du plan de relance est également très certainement destinée à endiguer l'effet psychologique négatif de la crise internationale sur les consommateurs chinois. Le plan de relance permet enfin à la Chine d'anticiper les critiques qui n'auraient pas manqué d'émerger sur le déficit de consommation interne et l'excès d'épargne, qui alimentent les déséquilibres au niveau mondial.
Ce plan de relance soulève néanmoins quelques questions. D'abord celle de son financement. Avec un endettement public proche de 16 % du PIB et un excédent fiscal qui devrait atteindre 2 % cette année, les autorités chinoises disposent d'une plus grande latitude qu'au moment de la crise asiatique en 1998. Plusieurs analystes s'interrogent néanmoins sur l'ampleur des marges de manoeuvre du gouvernement sur le plan fiscal. Elles pourraient être plus restreintes que ne l'indiquent les statistiques officielles.
Au moment où les rentrées fiscales devraient fortement baisser, la croissance rapide de certaines dépenses structurelles, qui vont devenir incompressibles compte tenu de leur caractère social, va progresser pour permettre la mise en place d'un Etat-providence, élément central d'un mode de croissance plus endogène. Ces mêmes analyses insistent également sur l'existence d'une dette publique non comptabilisée, notamment concernant les dépenses de retraites et les prêts non performants des banques publiques, qui risquent d'augmenter rapidement dans le contexte actuel.
Il ne serait donc pas étonnant de voir l'Etat demander à des entités publiques, comme les entreprises d'Etat ou les banques d'Etat qui ont vu leur profit augmenter confortablement ces dernières années, de contribuer à assurer une partie de cet effort, pour éviter de trop dégrader le déficit budgétaire. Par ailleurs, l'annonce parle d'un effort public sur deux ans, sans préciser s'il s'agit d'un supplément d'investissement net (qui serait dans ce cas massif) ou si cela comprend déjà ce que l'Etat avait prévu d'investir.
D'autre part, on peut également s'interroger sur l'efficacité à court terme de l'augmentation des dépenses sociales sur la consommation des ménages. On ne peut que se féliciter de l'effort budgétaire du gouvernement chinois dans le domaine du social, mais il faudra très certainement encore attendre plusieurs années pour que les systèmes de protection sociale et d'éducation soient transformés au point que les ménages chinois modifient de manière significative leur comportement d'épargne et décident d'en faire de même sur la consommation.
Ces interrogations mises à part, l'annonce de ce plan de relance démontre une nouvelle fois la remarquable capacité de pilotage macroéconomique du gouvernement chinois, qui pourrait lui permettre de négocier un atterrissage en douceur de son économie avec un taux de croissance proche de 8 % pour l'année 2009.
Jean-François Huchet
Directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine (Hongkong)
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