Week-End Scope (Port Louis)
Jamais personne en Chine n'avait osé demander explicitement et publiquement l'abolition de la peine capitale. C'est chose faite avec une pétition lancée sur Internet à l'occasion de l'affaire Yang Jia*.
L'assassinat de six policiers shanghaïens [dans un commissariat] par Yang Jia, en juillet dernier, a provoqué un profond émoi aussi bien en Chine qu'à l'étranger, et l'affaire continue de passionner [voir CI n° 932, du 11 septembre 2008]. Nous sommes profondément attristés qu'un tel drame se soit produit en Chine et nous déplorons la mort de ces six agents. Nous adressons à leurs familles nos plus sincères condoléances et les assurons de notre compassion. Cependant, le traitement judiciaire injuste dont Yang Jia a fait l'objet [son appel, après sa condamnation à mort, a été rejeté début octobre] nous interpelle également au plus haut point. Nous prions le gouvernement de bien vouloir se pencher sur ce dossier et l'exhortons à gracier Yang Jia à titre exceptionnel et en vertu de la procédure prévue par la loi, dans la mesure où son cas a suscité un intérêt et une sympathie dans toute la population. [Des internautes l'ont même qualifié de "héros".]
Tout d'abord, l'abolition de la peine de mort, la suspension ou la commutation de la sentence correspond à une tendance de plus en plus répandue à travers le monde. Deuxièmement, de 1959 à 1975, des grâces exceptionnelles ont été accordées en Chine à plusieurs criminels de guerre et condamnés de droit commun. Des précédents existent donc. Troisièmement, nous disposons d'un nombre croissant d'éléments (y compris des faits établis lors du jugement en appel) prouvant qu'à l'origine de cette affaire figurent de graves abus commis par les policiers sur Yang Jia. Ce dernier en a ressenti une profonde humiliation. Il n'a pas ménagé sa peine pour obtenir une juste réparation en empruntant les voies légales. Ses efforts ont été vains. Il a alors eu recours à la solution la plus extrême qui soit et a provoqué le drame que l'on connaît.
Les autorités de Shanghai ont refusé de révéler la réalité des faits dans cette affaire. Elles ont en revanche fait enlever au vu et au su de tous la mère de Yang Jia, un témoin capital dans cette affaire. Et on est sans nouvelles d'elle depuis lors. [Selon un avocat shanghaïen cité par le site Xinshiji Xinwenwang, elle serait morte, tandis que des sources judiciaires laissent entendre qu'elle se serait suicidée.] D'autres témoins clés, à savoir sept policiers du commissariat de Shanghai, n'ont pas été autorisés à comparaître. C'est donc en faisant fi des procédures judiciaires et à l'issue d'un procès en première instance opaque, l'appel ne faisant que confirmer le premier jugement, que Yang Jia a été condamné à mort. Si elles n'adoptent pas de mesures de recours judiciaire exceptionnel, les plus hautes autorités donneront à tout le pays et à la communauté internationale l'impression qu'elles se sont acharnées sur un bouillant jeune homme d'une vingtaine d'années. Elles auront ainsi perdu l'occasion de tirer un trait sur cette tragédie et de redorer leur image en matière d'Etat de droit.
Les soutiens de famille pouvaient être graciés
Quatrièmement, par le passé prévalait le système dit "de l'unique héritier soutien de famille". Un condamné à mort dont l'exécution aurait laissé ses parents ou grands-parents âgés sans quiconque pour subvenir à leurs besoins pouvait, avec l'approbation de l'empereur, voir sa peine commuée en un passage à tabac en public. Il échappait ainsi à la mort et pouvait servir ses parents et perpétuer le culte des ancêtres. Or Yang Jia n'a ni frère ni soeur ; et ses parents et grands-parents dépendent de lui pour subsister. Sous l'ensemble des dynasties chinoises, les grandes fêtes et les cérémonies ont toujours été prétextes à des grâces. Les amnisties sont aussi des pratiques courantes dans les pays civilisés.
A la veille de la révolution de 1911, le révolutionnaire Wang Jingwei (1883-1944) tenta d'assassiner le prince régent Chun Zaifeng (1883-1951). En vertu des lois de la dynastie Qing, il aurait dû être dépecé, sa famille décapitée et ses biens saisis. La cour impériale décida cependant de le gracier, en raison du contexte politique entourant cette affaire, du souci de l'avenir de la dynastie Qing, des réformes constitutionnelles et du besoin d'apaiser l'opinion publique. Les précédents historiques dans notre pays autant que la jurisprudence des différents Etats de droit à travers le monde nous enseignent que le droit de grâce à titre exceptionnel a une portée irremplaçable sur la stabilité politique d'un pays, sur les avancées juridiques et sur l'amélioration des conditions de vie de la population. "Je suis pleinement favorable à ce que l'on étudie la mise en place d'un droit de grâce", a déclaré Liao Yang, président de la Cour populaire suprême. "La grâce est une mesure politique importante pour un pays ; elle concrétise également les progrès d'une société civilisée. Les articles 67 et 80 de la Constitution chinoise actuelle prévoient des dispositions dans ce domaine, mais depuis 1975, année où pour la dernière fois une amnistie générale a été prononcée pour les criminels de guerre, la Chine n'a plus eu recours à cette possibilité..."
Cette année est célébré le soixantième anniversaire de l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que le dixième anniversaire de la signature par la Chine du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est vrai que l'Assemblée nationale du peuple [Parlement] ne l'a toujours pas ratifié. Mais, d'après les règles en usage internationalement, un pacte entre en vigueur dès lors qu'il a été signé, et en particulier s'il contient des dispositions d'amnistie ou de grâce. Cette année marque également le trentième anniversaire du lancement de la politique de réformes et d'ouverture qui a permis à la Chine d'intégrer la scène internationale du monde civilisé. La république populaire de Chine fêtera l'an prochain son soixantième anniversaire. A l'occasion de cet événement majeur, nous appelons à activer le système des grâces en l'appliquant en premier lieu à Yang Jia. Cette affaire, qu'elle qu'en soit l'issue, conservera à n'en pas douter une valeur de symbole dans l'histoire contemporaine de la Chine.
Une fois encore, nous sollicitons solennellement la grâce de Yang Jia à titre exceptionnel et nous demandons qu'elle constitue le point de départ d'un parcours historique menant à l'abolition de la peine de mort en Chine ; et qu'elle permette l'instauration pérenne d'un système civilisé de grâce et d'amnistie, et la création d'un Etat de droit, moderne et civilisé.
* Pétition signée, au 2 novembre, par 3 032 personnes, en grande majorité des Chinois de Chine, issus de toutes les couches de la société, dont un tiers de Shanghaïens.
(Weiqanwang, http://crd-net.org/A)
Encadré(s) :
Exécutions
La Chine détient toujours le triste record mondial des exécutions de condamnés à mort, selon Amnesty International. Ce nombre serait cependant en net recul en 2007, la Cour populaire suprême devant, pour la première fois depuis 1982, réexaminer toutes les sentences capitales, dont celle de Yang Jia. L'an dernier, Amnesty a recensé 470 exécutions, mais évoque le chiffre de 6 000 en citant les informations recueillies par la Fondation Dui Hua basée aux Etats-Unis. A l'échelle mondiale, plus des deux tiers des pays ont aujourd'hui aboli de jure ou de facto la peine de mort. (En 2008, 1718 exécutions selon Amnesty)
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