Zhou Shunbin servait dans une unité du génie. En 1981 il fut envoyé dans le Sud, où les conditions de vie sont terribles.
LES « Trente Glorieuses » qui ont changé la face de la Chine depuis décembre 1978 ne sont pas avares de contradictions ou de paradoxes. Le moindre d'entre eux n'est pas celui qu'a connu Shenzhen, quand des bataillons entiers de l'Armée populaire de libération sont venus défricher le terrain devant les nouveaux capitalistes. Zhou Shunbin était l'un de ces soldats montés au front de la grande bataille économique.
Au lendemain de sa victoire sur la ligne maoïste, Deng Xiaoping avait décidé d'expérimenter ses réformes dans quatre « zones économiques spéciales », qui seront créées en 1980. Idéalement située face à l'insolente Hongkong rendue prospère par le génie britannique, Shenzhen est du nombre. Mais à l'époque, la région n'était qu'une cascade de villages de pêcheurs hébergeant au mieux 30 000 habitants. Aujourd'hui, elle en compte 20 millions. « Je suis arrivé en mars 1981, se souvient Zhou Shunbin, à l'époque, j'avais 28 ans et déjà onze ans d'armée. Je servais dans une unité du génie, basée dans la province de Liaoning, dans le Nord-Est, et tout mon bataillon a été envoyé dans le Sud. »
Au milieu des rats et des serpents
L'ancien soldat se souvient des termes de la mission, « soutenir l'édification de la zone spéciale ». Quand il est arrivé, il n'y avait pas un seul bâtiment en dur dans le district de Bao An où trône aujourd'hui l'aéroport international. « La seule rue était un cloaque, avec un égout à ciel ouvert. Nous avons dû enlever les cadavres d'animaux du fossé et le recouvrir. Puis niveler et bétonner la rue pour que les premiers hommes d'affaires de Hongkong et de Macau ne pataugent pas dans la boue. » À l'époque, 10 000 soldats sont à l'oeuvre et ils seront plus de 20 000 en 1983. « Les conditions étaient terribles, nous vivions dans des huttes où pullulaient rats et serpents. Il faisait très chaud et les moustiques ont fait beaucoup de malades. »
Tout va très vite. Deng tirera d'ailleurs une expression du phénomène, la « vitesse Shenzhen ». « Le premier bâtiment que nous avons construit, c'est le »Magasin de l'amitié*, face à la gare, qui est ensuite devenu un duty free, raconte Zhou, et c'est l'armée qui a construit le premier gratte-ciel. »
La mémoire visuelle de la mue du Sud
En 1983, le gouvernement local demande que les soldats démobilisés aient l'autorisation de s'installer sur place. Leur savoir-faire de bâtisseurs sera précieux. La municipalité crée un groupe de construction et chaque bataillon en devient une sorte de succursale. Efficace, en ces temps où l'on ne sait plus où donner de la truelle. Zhou, lui, était journaliste et photographe militaire. Il rejoint donc les rangs de la nouvelle télévision de Shenzhen où il fera toute sa carrière.
Aujourd'hui, Zhou ne regrette pas son Sichuan natal, « tout près d'ailleurs du lieu de naissance de Deng ». Peut-être de ne pas s'être lancé dans les affaires. Mais il est fier d'être la mémoire visuelle de la mue du Sud chinois, avec l'une des plus belles collections de photographies relatant cette folle époque des temps pionniers.
De La Grange, Arnaud
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