vendredi 19 décembre 2008

30 ANS DE RÉFORMES - Vive le « consensus de Pékin »

Le Figaro, no. 20027 - Le Figaro, vendredi, 19 décembre 2008, p. 17

Le « consensus de Washington » est mort, longue vie au « consensus de Pékin » ! On entend facilement, aujourd'hui en Chine, des propos enjoués enterrant l'expression forgée par l'économiste John Williamson à la fin des années 1980 pour résumer les mesures préconisées par les grandes institutions financières internationales aux économies en transition. Aujourd'hui, ces « tables de la loi » du libéralisme sont ébréchées par la crise mondiale. La dernière confession de George Bush, avouant qu'il avait dû « abandonner les principes de l'économie de marché » pour éviter la catastrophe est bue ici comme du thé vert. Voilà que l'on prend avec un peu plus de considération le « modèle chinois » de forte intervention de l'État dans l'économie. Et par là même, de contrôle social et politique.

En Chine, la tempête mondiale a de fortes conséquences politiques, parce qu'elle a touché le pays à un moment crucial, l'ère postolympique et l'anniversaire des 30 ans des réformes. Un tournant où doit être fixé le cap des prochaines décennies. À l'évidence, la prudence est plus que jamais de mise. Deng Xiaoping ne disait-il pas lui-même qu'« il faut traverser la rivière en tâtant les pierres » ? Comme on aime bien ici les métaphores fluviales, le professeur Hu Xingdou, du Beijing Institute of Technology, rappelle qu'un proverbe dit qu'« une rivière coule 30 ans vers l'ouest, puis 30 ans vers l'est »... Une façon de dire qu'aujourd'hui existe « un courant très fort remettant en cause les réformes, en tout cas leur rythme et leur intensité. Et la crise lui a donné de la force. »

Pour cet universitaire, il ne fait guère de doutes que les réformes vont se poursuivre avec succès sur le plan économique. « Mais il y a des risques de retour en arrière sur le plan politique, avec un muselage accru des voix dissonantes », poursuit-il. La troisième vague de « libération de la pensée » voulue par le pouvoir, après celles de 1978 et de 1992, ne veut pas dire coup d'envoi d'un fol festival démocratique. Le renforcement démocratique affirmé lors du XVIIe congrès d'octobre 2007 signifie bien expériences de démocratisation, mais essentiellement à l'intérieur du parti.

L'idée du président Hu Jintao est en effet de constituer une sorte de « majorité » intérieure pour limiter le pouvoir de nuisance des courants et des factions. Pour cela, il s'évertue à bien placer de jeunes cadres issus de la Ligue de la jeunesse communiste. Et, à l'exception du Tibet et du Xinjiang, tous les patrons du parti des provinces ont été changés.

Malgré ce noyautage, les luttes demeurent âpres entre réformateurs et conservateurs. Parmi les « neuf empereurs » du comité permanent du Politburo, le président Hu Jintao a jusqu'ici réussi à obtenir une majorité de cinq contre quatre sur les grands dossiers. Mais les négociations sont de plus en plus âpres. La crise du printemps avait affaibli l'équipe au pouvoir, avant que le succès des JO ne vienne la conforter, puis que la crise internationale ne sape à nouveau son assise. Hu est critiqué sur sa gauche comme sur sa droite. À gauche, cela fait longtemps que l'on demande une pause dans les réformes. À droite, on estime que la ligne n'est pas assez claire et que le vieux Deng aurait fait mieux et plus...

Derrière ses slogans de « société harmonieuse » et de « développement scientifique », le pouvoir chinois sait qu'il butte encore sur le décalage entre les réformes économiques et politiques. La lutte contre la corruption est bien identifiée comme la pierre angulaire de la stabilité sociale et politique. Mais les impératifs de contrôle social et médiatique empêchent encore l'émergence de vrais contre-pouvoirs limitant l'impunité des cadres locaux. En empruntant le porte-voix difficile à débrancher d'Internet, la société civile naissante est devenue sur ce registre une force motrice essentielle.

De Malet, Caroline, De La Grange, Arnaud

PHOTO - A 1977 photo shows Deng Xiaoping, left, newly restored to prominence, and Hua Guofeng, whom he would succeed.

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