lundi 15 décembre 2008

Après le scandale de la mélamine, Pékin tente de faire le ménage - Brice Pedroletti

Le Monde - Economie, mardi, 16 décembre 2008, p. MDE3

Après 290 000 bébés contaminés par de la poudre de lait coupée à la mélamine et au moins six morts, le gouvernement chinois tente aujourd'hui de moraliser une industrie dont les dérives ont choqué sa population et le monde entier : " Le scandale du lait contaminé démontre que la production illégale de produits alimentaires et l'utilisation de substances non propres à la consommation humaine et animale ne sont pas des incidents isolés. Elles sont au contraire typiques de cette industrie... ", a publiquement admis depuis Pékin le vice-ministre de la santé, Chen Xiaohong, lors du lancement, mercredi 10 décembre, d'une campagne de quatre mois destinée à " nettoyer " et réglementer l'industrie.

Les entreprises du secteur ont un mois pour s'amender, après quoi les inspecteurs conduiront des raids auprès des fabricants ou dans les régions à risque pendant deux mois. La dernière phase de la campagne ciblera les fabricants d'additifs illégaux et devra démanteler les réseaux d'approvisionnement en substances dangereuses qui n'ont rien à faire dans les produits alimentaires. De nouveaux budgets ont également été débloqués pour le contrôle sanitaire dans le cadre du plan de relance chinois.

Menées tambour battant, ces campagnes baptisées " Frappez fort " ont en fait une efficacité toute relative : celle qui fut mise en oeuvre il y a exactement un an, et qui portait justement sur l'alimentation des enfants, n'a pas permis de révéler la contamination, pourtant grossière, de la poudre de lait pour nourrisson. Elle répondait d'ailleurs indirectement à un premier scandale de la mélamine : en 2007, la présence de la substance dans du gluten de blé importé de Chine par un fabricant américain de croquettes pour animaux domestiques avait tué ou rendu malades des milliers de chiens et chats aux Etats-Unis.

Un article du New York Times d'avril 2007 avait alors révélé que l'ajout de la mélamine aux aliments pour animaux (bétail et volaille) était non seulement généralisé en Chine, mais que c'était un secret de Polichinelle : les distributeurs de mélamine faisaient ouvertement la promotion sur Internet des avantages de leur produit. A l'époque, des experts américains s'étaient interrogés sur la possibilité que ce gluten de blé contaminé soit utilisé dans l'agroalimentaire. Mais les enquêtes avaient désigné une seule société chinoise responsable, et conclu qu'il s'agissait d'un cas exceptionnel de " malveillance ".

L'affaire était passée quasiment inaperçue en Chine, malgré les ravages de la mélamine dans la population animale. Il aura fallu que des milliers de bébés chinois tombent malades pour que se brise une véritable conspiration du silence, faite d'intérêts commerciaux, de corruption et de censure bureaucratique, et que les Chinois découvrent que l'intégralité du secteur des produits laitiers destinés à la consommation humaine était concernée.

Aujourd'hui, les autorités chinoises continuent pourtant à minimiser la présence de mélamine par exemple dans les oeufs (un nouveau lot contaminé provenant d'un producteur du Liaoning a été retrouvé à Hongkong début décembre) ou les aliments pour animaux : la nouvelle de l'interdiction européenne des importations de tourteaux de soja en provenance de Chine a reçu pour toute explication dans la presse officielle que du soja contaminé avait bien été identifié il y a un mois chez un producteur du Hebei, trompé par de " faux ingrédients " vendus par des fournisseurs mal intentionnés du Gansu.

" Quand on voit tout ce qu'on a trouvé, on ne peut plus dire qu'il s'agit de cas isolés, estime un expert occidental des dossiers sanitaires et phytosanitaires en Chine. Il est clair qu'on a affaire à une production clandestine à grande échelle de mélamine distribuée par tout un réseau d'intermédiaires, et qu'il existe un avantage économique à faire croire à une teneur supérieure en protéine. Mais il ne faut pas dramatiser par rapport aux conséquences sur la santé des consommateurs occidentaux : la mélamine ne se retrouve pratiquement pas dans la viande des animaux qui la consomment, car elle est en grande majorité rapidement éliminée dans les urines. Outre trois contrôles à l'export en Chine, désormais l'importateur lui-même est tenu par la réglementation européenne d'effectuer des autocontrôles, sans préjudice des contrôles officiels régulièrement opérés. C'est ce qui a permis de déceler la contamination des tourteaux de soja ", destinés à des éleveurs de volailles bio français.

Selon ce spécialiste, l'engagement du gouvernement central chinois et les efforts annoncés sont réels, mais ils se heurtent à des obstacles systémiques : " Faire remonter l'information est problématique ; la chaîne de commandement n'est pas aussi efficace que ce que l'on pourrait attendre entre les provinces et le centre. Il y a aussi un manque de personnel correctement formé. "

S'il y a des risques qu'on retrouve de la mélamine pendant un petit moment encore dans les ingrédients venus de Chine, le scandale devrait cependant déboucher sur son élimination progressive.

Mais les inquiétudes portent maintenant sur les additifs alimentaires, les vitamines et les acides aminés, dont un grand nombre sont désormais exclusivement " sourcés " en Chine par les industries alimentaires et pharmaceutiques du monde entier, faute d'autres producteurs. Selon l'Association chinoise des ingrédients et additifs, le secteur regroupe quelque 2 000 fabricants et 1 000 distributeurs. En 2007, la Chine a exporté pour près de 4 milliards de dollars de ces additifs...

Brice Pedroletti

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