Des dizaines de personnes interpellées, plusieurs arrestations et un nouveau motif de crispation avec la communauté internationale pour Pékin. C'est le premier effet visible de la «Charte 08», un manifeste signé par 303 intellectuels qui circule sous forme de pétition sur Internet depuis le 9 décembre. En une semaine, le document a été soutenu par plus de 3600 Chinois, dont certains membres du gouvernement, des dissidents et des ouvriers, des soldats et des étudiants, des chômeurs ou encore des Chinois d'outre-mer.
La «Charte 08» se réfère à la «Charte 77» lancée par la dissidence tchèque en 1977 pour faire pression sur le pouvoir afin qu'il respecte les droits de l'homme, et dont l'un des héros fut Vaclav Havel. Les signataires posent cette question: «Où la Chine se dirige-t-elle en ce XXIe siècle? Poursuivra-t-elle sa modernisation sous un pouvoir autoritaire ou embrassera-t-elle les valeurs humaines universelles? Rejoindra-t-elle le courant dominant des nations civilisées et construira-t-elle un système démocratique? Nous ne pouvons plus ignorer ces questions.»
Ce n'est pas la première fois qu'une pétition appelant à la démocratisation du régime et au respect des droits de l'homme est lancée sur Internet en Chine. Mais dans le climat actuel d'incertitude économique et de tensions sociales qui explosent aux quatre coin du pays, cette action soutenue par un large éventail de personnalités de la société civile inquiète un régime qui pensait être au faîte de sa gloire avec la célébration des Jeux olympiques il y a tout juste quatre mois.
Sa première réaction a été de détenir plusieurs auteurs de la charte, dont Liu Xiaobo, l'un des très rares intellectuels chinois à revendiquer le titre de dissident. Celui-ci a déjà fait plusieurs séjours en prison, notamment après les manifestations démocratiques de 1989. Il a été arrêté le 8 décembre à 11 heures du soir lorsqu'une dizaine d'agents de la sécurité ont fait irruption dans sa maison à Pékin. Son avocat, Mo Shaoping, également signataire de la charte, craint qu'il ne soit accusé d'«incitation à la subversion du pouvoir d'Etat», un crime passible de plusieurs années de prison. C'est sous ce chef d'accusation que l'activiste Hu Jia a été condamné en début d'année à trois ans et demi de prison (lire ci-contre). En réponse à l'inquiétude exprimée par l'Union européenne, qui demande des éclaircissements sur Liu Xiaobo, le Ministère chinois des affaires étrangères a rétorqué que Pékin ne faisait qu'appliquer la loi et qu'il s'opposait à l'«ingérence étrangère» dans ses affaires intérieures.
Le document a été rédigé à l'occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme (fêté le 10 décembre dernier). Mais les signataires ont également d'autres références historiques en tête: on célèbre en ce moment même le trentième anniversaire du lancement de la politique de réforme et d'ouverture par Deng Xiaoping. Les «quatre modernisations» promises à l'époque ont apporté un enrichissement spectaculaire au pays. Mais, note la charte, aujourd'hui comme en 1979, il manque la modernisation essentielle, la cinquième, celle du pouvoir politique sans laquelle les disparités, l'injustice et les privations de libertés resteront le trait de caractère de ce régime.
La sécurité chinoise est à cran. Après une relative ouverture pour les Jeux olympiques, la police vient à nouveau de bloquer de nombreux sites internet étrangers (dont celui de la BBC), ainsi que hongkongais et taïwanais. Elle tente également de filtrer la diffusion de la «Charte 08», dont l'écho en Chine, en dehors des réseaux contestataires habituels, pourrait demeurer limité. Les signataires rappellent par ailleurs que plus de cent ans se sont écoulés depuis la rédaction de la première constitution chinoise et que l'an prochain, on commémorera non seulement le 60e anniversaire de la fondation de la République populaire, mais également le 20e anniversaire des manifestations de Tiananmen. Ce sera également le 50e anniversaire de la fuite du dalaï-lama en Inde.
Alors que les plus hauts dirigeants expriment publiquement leur inquiétude face aux difficultés à venir, la collusion de ces commémorations pourrait être autant de prétextes pour qu'éclate la colère des laissés-pour-compte du «miracle» économique chinois. «Je suis optimiste, a expliqué l'un des signataires, Wang Kejian, un professeur cité par le journal australien The Age. Le temps des réformes politiques est venu car après 30 ans de réformes économiques, celles-ci sont dans une impasse. Dans le même temps, le pouvoir de la société civile s'est renforcé.» Ce à quoi Ai Weiwei, le célèbre artiste qui a participé au design du stade olympique, répond sur son blog: «La démocratie est un luxe et son prix est le sang.»
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