mercredi 24 décembre 2008

Les jouets « made in China » - Liu Kaiming, un pionnier dans l'audit social

La Croix, no. 38241 - Evénement, mardi, 23 décembre 2008, p. 2

Un chapeau de paille à la main, un paysan, au visage terreux et buriné par le soleil, s'approche de Liu Kaiming. Ce dernier est sensiblement mieux habillé que son interlocuteur, dont la chemise de toile et le pantalon de jute beige sont couverts de griffures vertes infligées par les cannes à sucre qui recouvrent les champs alentour. Mais son large sourire et ses remarques innocentes le mettent immédiatement à l'aise. Après avoir parlé de la pluie qui tombe depuis quelques jours et des nuages qui obscurcissent le ciel, il demande combien de paysans vivent dans le village, les quantités récoltées ces dernières semaines, s'ils sont parvenus à écouler leurs récoltes, à quel prix et auprès de quelle entreprise. Le paysan l'accompagne ensuite dans une maison voisine où il pourra discuter avec d'autres villageois.

Liu Kaiming a fondé en 2001 l'Institut d'observation contemporaine (IOC), dont il est aujourd'hui le directeur. C'est la seule organisation non gouvernementale chinoise à travailler dans l'audit social. « Je suis contacté par des entreprises pour inspecter d'autres sociétés avec qui elles désirent coopérer, explique ce quadragénaire. Mon objectif n'est pas de savoir si leurs comptes sont équilibrés. Je dois découvrir si les conditions de travail des employés sont conformes à la législation, s'ils sont payés en temps et en heure, s'ils ne sont pas forcés de réaliser des heures supplémentaires non ou mal payées, si les cotisations sociales sont bien versées par les employeurs, etc. »

Basée à Shenzhen, l'IOC opère principalement dans le « delta des perles », la région qui s'étend autour de Canton et Shenzhen, où se situe la plus grande concentration mondiale d'industries à faible valeur ajoutée. La main-d'oeuvre, composée de migrants, ces ruraux montés en ville afin de gagner de l'argent pour leurs familles, est particulièrement vulnérable en raison de sa méconnaissance des droits du travail. « Je me suis spécifiquement intéressé à eux car de nombreux habitants du village où je suis né sont partis travailler en ville, explique Liu Kaiming. J'ai donc appris de façon directe ce qu'ils enduraient. Cette expérience m'a resservi lorsque je suis devenu journaliste à Shenzhen, et que j'ai commencé à longuement travailler sur ces dossiers à partir de 1998. »

Aujourd'hui, les clients d'IOC portent les noms de Nike, Adidas, Reebok, Burberry, Timberland ou... l'agence française Promotion et participation pour la coopération économique. « Les entreprises chinoises ne possèdent pas de charte sur les conditions de travail comme leurs homologues étrangères, explique-t-il, un regret dans la voix. Quasiment toutes sont d'anciennes sociétés d'État. Elles n'ont jamais respecté la législation et ne voient pas pourquoi elles devraient le faire aujourd'hui. L'autre raison de leur manque d'intérêt réside dans l'inaccessibilité des critères mis en place par le gouvernement. Pour faire bonne figure, il a édicté des législations très strictes, parfois bien plus strictes qu'en Occident. Du coup, le fossé entre la réalité et la loi démoralise les entrepreneurs chinois. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les groupes étrangers me demandent souvent que soient respectées les normes internationales, qui représentent un premier pas vers l'amélioration des pratiques actuelles. »

Les conséquences des rapports d'audit pouvant être capitales pour les sociétés inspectées, celles-ci facilitent rarement la tâche des 28 employés d'IOC, dont 16 à temps partiel. « Généralement, elles nous cachent leurs vrais chiffres, compliquent notre travail et nos rencontres avec leurs travailleurs », assure avec un petit sourire Liu Kaiming. Cela ne l'empêche pas de poursuivre sa mission, allant de Yuanyang à Shanghaï, en passant par Djakarta et Mexico pour apprendre d'expériences similaires.

Tristan de BOURBON

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