jeudi 4 décembre 2008

Pour Pékin, la question des droits de l'homme est une nouvelle forme d'interventionnisme

Courrier international, no. 944 - Débat, jeudi, 4 décembre 2008, p. 50

En matière de respect des droits de l'homme, on ne peut pas caractériser les pays selon le principe du tout ou rien. Il arrive souvent qu'un pays qui se comporte bien dans certains domaines pèche dans d'autres, car rien n'est figé ni uniforme. L'essentiel est de déterminer si tous les droits de l'homme répondent à des critères communs. De ce point de vue, on peut dire que la Chine et les démocraties occidentales n'ont jamais eu de critères communs. Les désaccords à ce sujet ont toujours été au centre de la controverse concernant la "diplomatie des droits de l'homme".

Pour résumer, les divergences de vues sur les droits de l'homme entre la Chine et l'Occident se concentrent sur trois points : 1) l'opinion dominante en Occident est que les droits de l'homme sont universels, alors que la Chine met l'accent sur le relativisme culturel ; 2) au coeur de la conception occidentale des droits de l'homme se trouvent la liberté et les droits individuels, alors que la Chine est surtout attachée aux droits collectifs et considère que les droits et les devoirs civiques ne font qu'un (en fait, les devoirs priment sur les droits) ; 3) la conception occidentale des droits de l'homme privilégie les droits politiques et les droits civiques tels que la liberté d'expression, la 4liberté de publication, la liberté d'association, la liberté de réunion, alors que la conception chinoise insiste sur le fait que les pays en développement doivent faire porter leurs efforts en priorité sur le droit à la vie et les droits économiques, sociaux et culturels, au contenu assez vague.

Les "valeurs asiatiques", fondées sur le relativisme culturel, sont souvent mises en avant pour s'opposer à la conception occidentale des droits de l'homme. Cette théorie des valeurs asiatiques [qui consacre la prééminence du collectif sur l'individuel] a été formulée principalement par les anciens Premiers ministres singapourien Lee Kuan Yew et malaisien Mahathir Mohamad. Peut-être pour des raisons idéologiques - l'idéologie révolutionnaire communiste ne s'accordant pas du tout avec les valeurs chinoises traditionnelles -, le gouvernement chinois s'est refusé pendant très longtemps à soutenir ouvertement les "valeurs asiatiques". Ce qui ne l'empêchait pas de nier l'universalité des droits de l'homme et d'insister sur le relativisme déterminé à la fois par la notion marxiste de caractère de classe et par les différences culturelles.

Souvent, les "valeurs asiatiques" sont mises en avant

A partir du milieu des années 1990, le gouvernement chinois a semblé se rapprocher d'une vision universaliste des droits de l'homme, tout en continuant à insister sur ses spécificités historiques, culturelles et sociales. Il oppose deux arguments à l'Occident : d'une part, il considère que la Chine, en tant que pays en développement, doit s'occuper en priorité de son développement économique et résoudre les besoins fondamentaux de logement et d'alimentation de l'ensemble de la population ; d'autre part, il se fonde sur la réalité historique des agressions, mainmises et ingérences des puissances impérialistes étrangères sur la Chine durant la période dite moderne (1840-1919) pour considérer que le droit à la souveraineté fait partie des droits de l'homme, en tant que droit collectif des Chinois. Pour les autorités chinoises, les critiques adressées à la Chine par les pays occidentaux sur la question des droits de l'homme correspondent dans une large mesure à une nouvelle forme d'interventionnisme. Elles forment le socle de la doctrine de l'"évolution pacifique" [l'idée que l'Occident finirait par obtenir l'adhésion de la Chine aux modes de vie et de pensée occidentaux par des moyens non militaires] et des "révolutions de couleur" [considérées par la Chine comme résultant de manipulations des anciens pays de l'Est par l'Occident]. Comme le système éducatif chinois et les médias ont une fonction de transmission idéologique, ces deux arguments ont toujours une influence majeure sur la société chinoise actuelle.

Depuis la fin des années 1980, le gouvernement chinois a été forcé de se rallier en apparence au consensus international qui veut que les dossiers des droits de l'homme constituent une part importante des relations internationales, mais il a également enrichi son expérience en matière de diplomatie des droits de l'homme et perfectionné ses méthodes. La première méthode est une démarche multilatérale, consistant principalement à enrôler des pays en développement (dont un assez grand nombre ne respectent pas les droits de l'homme) pour former un "front uni" au Conseil des droits de l'homme de l'ONU afin de s'opposer à tout projet de résolution et à toute recommandation concernant la Chine, en avançant comme principale excuse que les questions de droits de l'homme sont par essence des questions de politique intérieure. Cette stratégie se révèle des plus efficace et a permis à la Chine de remporter des "succès", que ce soit devant la Commission des droits de l'homme ou auprès du Conseil des droits de l'homme qui lui a succédé en 2006 [Pékin a maintes fois réussi à faire annuler tout débat sur un sujet le concernant]. Chaque fois, le gouvernement chinois s'en gargarise dans la presse nationale, saluant l'échec des "propositions antichinoises" avancées par certains pays occidentaux. Il va de soi que cela implique pour le gouvernement chinois de renvoyer l'ascenseur à ces pays qui coopèrent avec lui, en ne votant pas les résolutions du Comité des droits de l'homme qui les condamnent ou les sanctionnent.

La seconde méthode est une démarche bilatérale consistant à négocier avec des pays occidentaux, en particulier sur des questions concrètes de droits de l'homme. Il s'agit d'un système de donnant-donnant permettant d'aboutir à des accords sur des points précis, par exemple en expulsant de Chine sous différents prétextes des dissidents politiques ou des militants chinois des droits de l'homme, en particulier vers les Etats-Unis, ce qui revient en fait à un bannissement politique.

La troisième méthode consiste à incorporer des éléments de la diplomatie des droits de l'homme dans les relations bilatérales par exemple en mettant en place des discussions au niveau des commissions bilatérales, ou en organisant des programmes de coopération relatifs aux droits de l'homme, comme la formation d'avocats, de juges ou de syndicalistes.

Enfin, une autre méthode indirecte est de jouer la carte économique. Celle-ci consiste à influencer les pays occidentaux en concluant avec eux quantité de contrats, en achetant avions et centrales nucléaires, en invitant les capitaux étrangers à participer à la construction d'infrastructures. Sans être directement destinée à détourner l'attention occidentale de la question des droits de l'homme en Chine, cette méthode a des visées stratégiques. Pour faire face à des besoins économiques réels, la Chine choisit ses partenaires en espérant des concessions sur l'attention portée aux droits de l'homme. Ce n'est pas une politique affirmée, mais une forme que prennent fréquemment les échanges internationaux.


Zhu Yuchao
Tianyi (TECN) (Pékin)

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