Le point de vue de PHILIPPE DELMAS ET ALAIN BAUER
Nourris par une rente pétrolière ou des excédents commerciaux, les fonds souverains détenus par des Etats sont devenus des épouvantails. Et s'ils venaient à faire une razzia sur nos Bourses au plus bas ? Avec 2.800 milliards de dollars d'encours et des propriétaires patients, comment ne seraient-ils pas tentés ?
Certes, ces fonds manquent souvent de transparence. La note attribuée par des économistes américains ne dépasse pas 5 sur 20 pour la plupart des fonds du Moyen-Orient et à peine la moyenne en Asie, contre 18 en Norvège. Combiné avec les ambitions politiques de certains des Etats propriétaires, cela nourrit les fantasmes. Cependant, le FMI a émis des directives précises à ce sujet en 2008, qui seront complétées par l'OCDE en 2009, afin de remédier à cette lacune.
En revanche, les fonds souverains ne représentent que 3 % des actifs financiers mondiaux, 15 % de ceux des compagnies d'assurance. Ensemble, les trois premiers gérants privés (UBS, Barclays, Allianz) gèrent plus de capitaux que les 150 fonds souverains recensés et chacun environ deux fois plus que le plus grand, Adia, d'Abu Dhabi. Selon la Fed, début 2008, la totalité des fonds souverains pétroliers ne possédaient que 3 % des actifs financiers détenus par des étrangers aux Etats-Unis, contre 12 % pour les Japonais.
Les ressources de ces fonds vont continuer à croître, comme les réserves de change, en raison du prix tendanciellement croissant des matières premières et des excédents commerciaux de ces pays. Cela reflète un déplacement massif de la richesse mondiale que ces fonds illustrent mais qu'ils nourrissent aussi en investissant dans le développement de leurs pays.
Car tel est le vrai sujet et la leçon d'économie des fonds souverains : ils méritent leur nom. Ils placent l'essentiel de leurs capitaux dans le développement de leurs pays et de leur région : 70 % des fonds souverains singapouriens et du principal fonds chinois sont ainsi investis ; 83 % des capitaux de fonds souverains investis en Asie viennent de fonds asiatiques. Au Moyen-Orient, Adia est investi à plus de 80 % dans la région. Ces investissements massifs servent à développer des leaderships industriels et des activités nouvelles. Cette gestion ressemble à celle du Japon des années 1960 et 1970 : la mesure du succès est l'acquisition de compétences industrielles et de positions commerciales plus que la rentabilité rapide. La concurrence par l'investissement est de retour.
Cette politique est puissante et prédatrice, comme l'a montré le Japon, qui n'a été limité que par ses propres erreurs. Elle a eu un précédent et retrouve désormais un pendant dans la politique de l'Etat américain. Qui sait qu'il investit aujourd'hui environ dix fois plus que l'Europe des Quinze dans les bio et nanotechnologies, qui deviennent aussi capitalistiques que l'aéronautique ? Il y a trente ans, ne pas le comprendre a coûté à l'Europe ses industries informatique et microélectronique sans espoir de retour.
La question que les fonds souverains nous posent n'est pas l'enrichissement de leurs pays ni le pillage des nôtres mais notre appauvrissement si nous ne faisons pas l'effort nécessaire. L'acuité de cette question est illustrée par celle du financement du fonds stratégique annoncé par le président de la République. En dehors des fonds de pension nationaux, les fonds souverains ont deux ressources : une rente de matière première ou des réserves de change nées d'un excédent commercial durable. La France subit un déficit commercial chronique et croissant, n'a pas de fonds de pension et son épargne est absorbée par un énorme niveau de dépenses publiques (8 points de PIB de plus que la moyenne OCDE, 4 de plus que l'Allemagne).
La France de la dette et de la dépense publique sera un pays de moins en moins souverain dans la géographie économique mondiale, parce qu'elle n'a pas les moyens de suivre la concurrence par l'investissement. En créant le FSI, Nicolas Sarkozy a mis en évidence l'éloignement de la France par rapport aux pays qui préparent le mieux leur avenir. Nous sommes différents de la Chine et du Koweït, mais dans la même arène. Nous devons donc nous adapter radicalement et vite. Cela exige une restructuration drastique de toutes les dépenses publiques. A cet égard, il faudra veiller à ce que le FSI ne devienne pas une structure de défaisance pour des banques désireuses de se défaire de participations ou crédits accordés à l'industrie. Il ne doit pas non plus être un substitut à ce que l'Etat fait déjà dans l'aéronautique, le nucléaire ou l'espace. Il doit être le moyen d'investir dans un petit nombre d'industries clefs et peu soutenues comme les bio ou nanotechnologies où, malgré ses compétences, la France prend du retard pour des raisons capitalistiques.
Car, encore cachée sous le couvert de la crise, la guerre des investissements publics dans l'industrie de demain est déjà engagée.
Note(s) :
Philippe Delmas est président de PHD Associates et Alain Bauer, consultant.
PHOTO - Ministre des Finances, Xie Xuren
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