2009 sera-t-elle l'année de la reprise des acquisitions ? Les opportunités ne manquent pas. Fiat ouvre le bal avec Chrysler. General Motors est à ramasser pour quelques dollars, le canadien Nortel est à prendre pour presque rien et les mois à venir devraient apporter leur lot d'opportunités. Le problème, évidemment, c'est de trouver des acheteurs en face. Beaucoup n'ont plus les moyens et ceux qui en ont encore préfèrent les garder pour passer la tempête. Et les Chinois ? En ce moment, le nom du champion local des télécoms, Huawei, circule pour Nortel, et d'autres industriels des pays émergents pourraient être tentés de franchir le pas, que ce soit dans l'électronique, l'automobile ou l'industrie lourde. Car l'acquisition est après tout le moyen le plus rapide pour s'internationaliser et s'inviter au bal des géants. Le plus rapide ? Cela reste à voir, comme le montre l'aventure édifiante de Lenovo.
Numéro un chinois des micro-ordinateurs, cette société née en 1984 au sein de l'Académie des sciences chinoises, qui contrôle encore 27 % du capital, a frappé un grand coup en 2005 en s'offrant la plus prestigieuse marque au monde, IBM, l'inventeur même du PC. Et même si l'étoile de l'américain avait largement pâli avec la montée en puissance de concurrents comme Hewlett-Packard ou Dell, l'affaire a eu un retentissement considérable. Pour près de 1,3 milliard de dollars, un inconnu chinois s'offrait une icône américaine, de surcroît près de trois fois plus grosse que lui. « C'est le petit poisson qui avale la baleine », reconnaissait l'un des patrons de Lenovo. Du coup, le nouvel ensemble devenait numéro trois mondial du secteur.
L'acquisition d'IBM visait quatre objectifs. D'abord parvenir à une taille critique sur un marché de volume où la part des achats de composants standards est considérable. Face à HP ou Dell, qui écoulaient entre 15 et 25 millions d'unités par an, les 4 millions d'ordinateurs Lenovo ne faisaient pas le poids. Deuxième objectif, le renforcement de compétences techniques, avec l'acquisition de centres de recherche et de spécialistes produit. Troisième objectif, doter l'entreprise d'un management de classe internationale. Enfin, le dernier point concerne bien sûr l'internationalisation des produits et de la marque, par l'acquisition de part de marché, de réseau de distribution et d'un label prestigieux, celui des « Thinkpad », nom de baptême des portables haut de gamme d'IBM.
Tous ces objectifs ont été atteints. Avec plus de 10 millions d'unités vendues chaque année, le groupe a désormais la taille critique, il possède des centres de recherche et des usines sur tous les continents, y compris en Pologne et au Mexique. Quant à son management, le changement est spectaculaire. Le patron est américain, Bill Amelio, un ancien de Dell, et 70 % des dirigeants sont désormais non chinois. A bien des égards, Lenovo est probablement devenu le plus international de tous les fabricants d'ordinateurs. De la même façon, le constructeur a investi lourdement dans sa marque en parrainant aussi bien des acteurs indiens de Bollywood que des stars de football, de basket ou des voitures de formule 1. De plus, grâce à l'héritage d'IBM, la marque a su se positionner comme un constructeur de qualité, ce qui le différencie de ses concurrents chinois.
Et pourtant, ce début d'année a sonné comme un rappel cruel. De tous les ténors du secteur, Lenovo est celui qui affiche la croissance la plus faible et son dernier trimestre devrait se conclure par une plongée des résultats dans le rouge. En conséquence, le groupe a annoncé la semaine dernière la suppression de 11 % des effectifs (2.500 personnes) et un vaste plan d'économies. Plus humiliant encore, il s'est fait souffler en 2008 sa place de troisième constructeur mondial par la nouvelle météorite du secteur, le taïwanais Acer. Les comparaisons sont cruelles : selon le cabinet Gartner, sur l'ensemble de l'année 2008, ses ventes on progressé de 8,7 %, contre plus de 26 % pour Acer. Et le mouvement s'est accéléré en fin d'année.
Pourquoi cette dégringolade ? Pour deux raisons essentielles. La première, qui revient comme une ritournelle dès que l'on parle d'acquisitions, c'est la défocalisation. L'entreprise a été absorbée par son souci en interne de réussir sa fusion.
Marier une entreprise chinoise d'Etat au management très militaire et collectif avec une division du pape de l'informatique américaine, IBM, a été (et reste encore) une tâche considérable. D'autant que de nombreux cadres d'IBM, dont le patron, ont été rapidement remplacés par d'autres Américains encore plus rudes et ne parlant toujours pas un mot de chinois. Une passionnante enquête publiée dans le « Wall Street Journal » (1) décrit le folklore des réunions où les Américains mobilisent la parole devant des Chinois médusés qui ne parleront de leurs problèmes qu'en aparté et à leurs supérieurs.
Au-delà du seul fossé culturel, l'alignement des organisations et de la chaîne logistique a pris du temps. D'autant que Lenovo est un constructeur grand public en Chine, tandis qu'IBM est essentiellement tourné vers la vente aux grandes entreprises. Tout cela a ouvert un boulevard aux concurrents pour prendre des parts de marché. Du coup, la croissance et la quasi-totalité des bénéfices du groupe proviennent toujours du marché chinois, qui ne représente plus que 40 % des ventes.
Toutes les entreprises qui se sont lancées dans l'aventure des grandes acquisitions ont connu ce genre de difficultés, à commencer par Hewlett-Packard avec le rachat de Compaq, même si le gap culturel entre Californiens et Texans est évidemment moins large... L'histoire a montré que, passé la période difficile de la digestion, qui a coûté son poste au PDG de HP de l'époque, on pouvait rebondir et profiter enfin des bénéfices de la fusion.
La deuxième raison des difficultés de Lenovo est tout aussi problématique. Absorbé par sa fusion, et son souci de coller au peloton de tête, la société n'a pas suffisamment regardé dans son rétroviseur. Le danger est venu de derrière et non de devant. L'avenir, ce n'était pas Dell, qui a fourni beaucoup des principaux managers du chinois, mais Apple et Acer. Des concurrents plus petits et distancés, mais qui étaient en train d'imposer un nouveau modèle : un positionnement résolument grand public aidé par un marketing produit intensif, un renouvellement très rapide des produits et un appareil de production extrêmement léger. Or 2008 a été l'année du basculement du marché vers le grand public, notamment grâce à l'autre taïwanais, Asus, inventeur du concept du mini-PC (2), qui a su trouver un nouvel axe de développement dans un marché qui s'essoufflait. Acer et Apple n'ont pas d'usines, mais des centres de recherche très actifs, un appareil logistique extrêmement efficace et un réseau de distribution dense qui leur permet de multiplier les offres produits avec un renouvellement constant.
Conscient de ces difficultés, Lenovo met les bouchées doubles et s'oriente début 2008 vers le grand public avec notamment sa nouvelle gamme de mini-PC. Une offensive tardive, encore handicapée par la complexité de sa chaîne logistique et son absence de nombreux réseaux de distribution grand public. La crise de la consommation, qui touche désormais aussi l'électronique, arrive évidemment au plus mauvais moment puisqu'elle ne permet plus d'absorber les réorientations stratégiques. L'année 2008 sera à marquer d'une pierre blanche sur la courbe d'apprentissage des prétendants chinois à la conquête des bastions occidentaux.
Encadré(s) :
Les chiffres clefs
· Chiffre d'affaires : 16,3 milliardsde dollars.· Marge opérationnelle : 3,1 %.· Part de marché 2008 (Gartner) : 7,2 % (HP : 18,4 % ; Dell : 14,3 % ; Acer : 11,1 %).· Employés : 24.000.
Les atouts
· 25 % du marché chinois des PC.· Une image de qualité.· Une présenceet un management internationaux.
Les faiblesses
· Peu présent dans le grand public.· Chaîne logistique complexe.· Coûts d'exploitation trop élevés.· Complexité du mélangedes cultures.
Note(s) :
pescande@lesechos.frblogs.lesechos.fr/stratégie(1)« Wall Street Journal », 5 novembre 2008.(2)« Les Echos », 28 novembre 2007.
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