Immigration . Le Réseau Éducation sans frontières (RESF) lance une campagne nationale pour la régularisation des jeunes majeurs. Rencontre avec les jumeaux Yin et Long, lycéens chinois de 21 ans.
Mèche sur le front, fringues à la mode, boucle d'oreille, Yin (1) est un post-ado comme les autres. Mais il dit : « On ne va pas au café, y a trop de monde... » et on comprend que sa vie n'est pas celle de tous les jeunes de son âge. Il reçoit chez lui, donc, avec son frère jumeau Long : le même, avec des lunettes. Chinois arrivés en France à 15 ans, tous deux sont en situation irrégulière depuis leur majorité. Ça veut dire quoi, être sans papiers quand on a 21 ans ? Pas de sorties le samedi soir, pas de voyages scolaires. Et pas de basket, ajoute Long, qui rêve de rejouer avec une balle orange.
Originaires de Wen-Zhou, dans le sud de la Chine, les jumeaux arrivent en France le 1er janvier 2003. Ils rejoignent leur père arrivé en 1998, leur mère et leur grande soeur. Le premier met quinze jours, le second un mois, en passant par le Cambodge, Taïwan et l'Allemagne. Prix du voyage : 20 000 euros par tête. Une fois à Paris, les garçons ne découvriront pas la capitale avant de longs mois. « Pour rembourser le passeur, on a travaillé pendant huit mois, explique Yin. De seize à dix-huit heures par jour, dans la couture. » Il faudra deux ans pour rembourser intégralement le voyage. Yin : « Au début, j'ai demandé à mon père : "Pourquoi on est là ? C'est trop dur. En Chine, c'est mieux." Mon père m'a répondu que je ne pouvais pas rester tout seul en Chine : toute ma famille est en France, maintenant. »
Aujourd'hui, en terminale bac pro compta au lycée Eugénie-Cotton, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Yin et Long ont appris le français. Ils maîtrisent parfaitement tous les sigles du parcours du combattant des sans-papiers : APRF, TA, OQTF, APS... En 2006, un voyage scolaire au Canada les oblige à sortir de l'ombre. « Quand on nous a demandé pourquoi on n'y allait pas, j'ai répondu qu'on ne pouvait pas parce qu'on n'a pas de papiers », se souvient Yin. Depuis, en cas de coup dur, ils peuvent compter sur le soutien inconditionnel des profs (certains sont leurs parrains) et des élèves. Et des coups durs, il y en a eu : en un an, trois membres de la famille, le père, la soeur et Long, ont été arrêtés. Et ce dernier, alors qu'il se rendait à la Fête de la musique, s'est retrouvé sous le coup d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), finalement annulé par le tribunal administratif. Il se voit remettre une autorisation provisoire de séjour, dans l'attente de l'examen de son dossier. Un goût de liberté. Pour quelques mois. Comme tous les jumeaux du monde, Yin et Long s'interchangent avec malice : une photocopie de l'APS et Yin peut lui aussi faire des virées le samedi soir.
Parallèlement, le 14 mai 2008, Yin et Long ont déposé, avec 83 autres jeunes majeurs sans papiers défendus par RESF, leur dossier en préfecture. Ils attendent une réponse dans les jours qui viennent. En attendant, les jumeaux, leurs parents et leur soeur, continuent de vivre la peur au ventre. Le père est dans le bâtiment, la mère dans la couture. Les fins de mois sont difficiles. Tous les soirs, Yin et Long donnent un coup de main dans un restaurant japonais. « Mais quand il y a des rafles dans le quartier, on ne peut pas sortir pour aller travailler, raconte Yin. Après on doit emprunter pour payer le loyer... C'est dur la vie de sans-papiers. »
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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