Dans une Chine devenue le pays le plus connecté du monde, ce moteur de recherche écrase le marché local. Au grand dam du géant californien. D'ici à ce qu'il débarque en Europe...
Le contraste est saisissant. A son arrivée dans les locaux de Baidu, le visiteur se voit offrir un autocollant intitulé « Baidu est ton ami ». Sur le sticker, les empreintes accueillantes d'un panda, l'« ours chat », animal fétiche des régions montagneuses du coeur de la Chine. Le terme baidu, glisse une hôtesse, signifie « des centaines de fois ». Il serait tiré « d'un poème apprécié par la dynastie Song il y a huit siècles » et évoquerait la « recherche du rêve et de la beauté ». Cette quête prometteuse prend un visage surprenant quand, apercevant un appareil photo, un vigile s'interpose : « Les clichés sont interdits ici. » Tout comme le sont les questions qui portent sur l'intervention du gouvernement dans la bonne marche de l'entreprise (voir l'encadré page 60), ou sur les chiffres jugés trop stratégiques... Le goût du secret est le même que chez Google, l'ennemi juré de cette entreprise basée au douzième étage d'un gratte-ciel de Pékin.
Les jeunes actifs qui s'activent dans ces cubicles, petits espaces rectangulaires décorés d'affiches de Hello Kitty, sont-ils au courant de l'extraordinaire influence de leur firme sur le Web mondial ? Baidu est le seul moteur de recherche au monde à détenir plus de 50 % (8 requêtes sur 10 !) de son marché local. Et c'est bien dans l'empire du Milieu que se dessine l'Internet de demain. Depuis mars 2008, la Chine est d'ores et déjà le pays qui compte le plus d'internautes. Fin janvier, le nombre de surfeurs dépassera, affirme le China Internet Network Information Center (Cnnic), la barre symbolique des 300 millions. Parmi eux, 1 sur 4 dispose d'un blog, note l'institut d'études ip-label, présent à Shanghai. Qui s'étonnerait de ces nouveaux records ? Depuis deux ans, la troisième économie mondiale est déjà celle qui recense le plus d'abonnés au téléphone mobile.
Lancé dans une petite chambre d'hôtel de Pékin
Il est bien sûr tentant de moquer un Web préhistorique, encore inexistant à la campagne. Mais le temps joue dans le sens de l'Internet chinois : chaque semestre, c'est l'équivalent de la population française qui se connecte. D'ailleurs, l'« armée de réserve » n'est pas près de s'épuiser : plus de 8 Chinois sur 10 n'ont encore jamais approché un ordinateur. Il est donc crucial de s'imposer comme le passage obligé de ces futurs internautes.
L'empêcheur de tourner en rond de Google est né la même année. En 1998, Robin Li, ingénieur chinois tout juste trentenaire, venu sept ans plus tôt aux Etats-Unis pour y suivre des études, s'ennuie ferme chez Infoseek, gigantesque annuaire du Web, qu'il vient d'intégrer. Avec le soutien d'Eric Xu, un docteur en biochimie bien introduit dans la Silicon Valley, Li réussit à lever 10 millions de dollars. Et c'est dans une petite chambre d'hôtel avec vue sur l'université de Pékin qu'il lance Baidu : au départ une simple Web agency, aidant les grands comptes à mettre au point leur site. Mais, impressionné par le succès d'Overture, une société californienne qui vend de la publicité en fonction des mots recherchés sur Internet, Li truffe ses pages de liens sponsorisés. Les annonceurs locaux plébiscitent ce service et Baidu devient bénéficiaire dès 2004. Egalement passé par la Dow Jones Company, où il a brièvement participé à l'élaboration du site du Wall Street Journal, Li introduit son entreprise au Nasdaq en 2005. Le jour de la cérémonie d'ouverture, les investisseurs, bluffés par les 100 millions de requêtes quotidiennes, propulsent le cours du site de 27 à 122 dollars.
Aujourd'hui - refroidissement du secteur oblige (voir page 61) - l'action est retombée autour de 100 dollars, et Baidu doit se réinventer. Car, jusqu'à présent, le site a joué sur du velours. Il a bénéficié d'un marché captif et protégé.
Baidu joue sur la fibre nationaliste
« Seule une entreprise chinoise, immergée dans la langue chinoise, peut vraiment comprendre la pertinence et la logique des mots », précise fièrement le site Internet. D'autant qu'un terme peut avoir plus de 50 significations différentes. Au besoin, la firme n'hésite pas à jouer sur la fibre nationaliste pour communiquer... A l'instar de ce clip d'autopromotion où un riche Occidental se fait « chiper » son accorte fiancée asiatique par un Chinois qui, lui, au moins, la comprend quand elle lui parle !
Baidu a mis à profit cet avantage pour truster l'attention des moins de 30 ans, qui représentent plus de 70 % de la population. Au programme : une plate-forme de création de blogs, un moteur de recherche musical capable de réagir selon les goûts du surfeur, mais encore une quantité de liens vers les sites de téléchargement illégaux. Les majors (Universal, EMI, Warner et Sony BMG) n'ont guère apprécié et ont porté plainte contre l'entreprise, en 2005. Mais elles viennent d'être déboutées en appel par la Cour suprême de Pékin.
Difficile dans ces conditions de se faire une place au soleil. Google, qui était encore dominant dans le pays en 2003, a bien essayé d'enrayer ce raz de marée, mais le site a tout bonnement été interdit à de nombreuses reprises. Pour le spécialiste du secteur Randall Stross (1), le gouvernement ne lui a pas vraiment laissé le choix. Ou la firme californienne fonctionnait comme dans le reste du monde, avec le risque un jour d'être purement et simplement évincée des écrans, ou elle décidait, comme elle l'a finalement choisi, de s'installer en Chine en acceptant les conditions de Pékin. Aujourd'hui, Google.cn obéit à la législation locale.
Des développeurs payés moins de 1 000 dollars
La position inconfortable de Google est emblématique de celle des autres sites Internet occidentaux. « Mis à part Amazon, aucun d'entre eux n'a de position significative. MySpace ne fait pas le poids face au 51.com local, eBay n'est présent qu'à travers une joint-venture, et Facebook est quasi inexistant sur le territoire », observe, à Shanghai, Patrice Nordey, de l'Atelier, cellule de veille technologique de BNP Paribas.
Les dirigeants de Baidu peuvent, de ce point de vue, dormir sur leurs deux oreilles. Mais la nouvelle frontière est ailleurs. Le moteur n'aura vraiment gagné son pari que lorsque, armé de développeurs payés moins de 1 000 dollars par mois, il se sera imposé hors de Chine. « Quand le marché chinois arrêtera de grossir plus vite que dans le reste du monde, nous regarderons à l'étranger », confiait Li au quotidien britannique The Guardian, en 2005. Il y a deux ans, Baidu ouvrait un site japonais. Viendra-t-il sur le Vieux Continent, où aucun moteur n'a réussi à détrôner Google ? « Nous sommes à la recherche d'informations sur le marché européen », concède une porte-parole. Une litote qui sonne comme un appel à la conquête.
(1) Planète Google. Faut-il avoir peur du géant du Web ?, par Randall Stross. Pearson.
Encadré(s) :
La grande muraille du Web
Résultats censurés, connexions ralenties et... emprisonnement de blogueurs impertinents : le Web chinois n'est pas réputé pour être un océan de liberté. Ce contrôle, méthodiquement programmé par le gouvernement, a reçu le surnom de « The great (fire)wall » ! Après le filtre de mots clefs comme « Tiananmen » ou encore « dalaï- lama », qui mobilise des armées d'ordinateurs, les autorités s'attaquent depuis peu à l'écoute de conversations sur Skype à l'aide de logiciels de reconnaissance vocale. Dans sa ligne de mire, le micro-blogging : ces messages très courts envoyés d'un téléphone portable, comme ceux permis par le logiciel Twitter. C'est cet outil qui a permis au dissident Zhou Shuguang de rendre compte en direct et très librement d'une tentative d'intimidation dont il a été l'objet durant les Jeux olympiques de Pékin. Il devra se méfier la prochaine fois. Selon la spécialiste hongkongaise Oiwan Lam, un groupe d'internautes baptisé « 50 cents » et dont la création a été encouragée par le gouvernement a reçu pour mission de surveiller les moindres « twitts » de ses compatriotes.
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