Patrick Law, professeur de sciences sociales à l'Université polytechnique de Hong Kong : « Pékin veut mieux répartir le développement économique ». Les entreprises qui produisaient pour l'exportation sont durement touchées
Les milliers de fermetures d'usines dans la province du Guangdong, l'« atelier du monde », annoncent-elles une faillite du système économique chinois ou s'agit-il d'un ajustement au coût social élevé ?
Patrick Law : La province du Guangdong fait face à une crise très sérieuse, mais ce sont surtout les entreprises qui produisaient pour l'exportation qui sont durement touchées et qui ont dû fermer ces derniers mois. Dans le district de Dongguan où je me suis rendu pour une enquête de terrain le mois dernier, j'ai vu une entreprise de 10 000 ouvriers qui a décidé d'arrêter sa production pendant trois mois et où les ouvriers ne reviendront que fin février. Une autre est passée de 600 à 200 ouvriers. Les usines à fort taux de main-d'oeuvre ont subi de plein fouet les nouvelles lois sociales sur le travail et le gouvernement provincial du Guangdong a annoncé qu'il ne les soutiendrait pas. Elles auraient dû, à son avis, anticiper la mutation industrielle et technologique. En réalité, la province du Guangdong ne veut plus de ce type d'entreprises et ne veut garder que les usines modernes à forte valeur ajoutée.
Le gouvernement chinois n'avait-il pas encouragé les patrons à « délocaliser » à l'intérieur des provinces chinoises ?
Il a bien essayé de les convaincre d'aller dans les provinces intérieures du Hunan, du Guangxi ou du Gansu, mais elles ont eu du mal à y trouver des ouvriers en quantité. Le paradoxe aujourd'hui veut que ces ouvriers soient tous partis vers le Sud ou vers Shanghaï et qu'ils veulent rester dans les grandes villes. Nous les appelons les « ouvriers des années 1980 », nés après l'ouverture de la Chine et des réformes. Ils détestent cultiver la terre et ne veulent surtout pas retourner dans leurs villages où leurs parents, en revanche, sont rentrés après avoir gagné de l'argent sur la côte. Ces jeunes ouvriers ne veulent pas travailler non-stop dans les usines, mais profiter des attraits de la ville, dépenser leur argent ! Mécontents de leur dortoir ou de la nourriture à la cantine, ils ont longtemps pu se permettre de changer d'usine, car c'était le boum partout, on manquait de main-d'oeuvre et les salaires grimpaient !
Si cette époque est révolue, quelles sont les perspectives pour eux ?
C'est le défi majeur du gouvernement central chinois : pas de nouvelles usines à l'intérieur des terres, des millions de migrants (miggong) obligés de retourner dans leur province natale mais qui ne veulent pas reprendre la ferme parentale... Que va-t-il faire ? Nous ne savons pas ! Dans certains villages, la police s'inquiète, car le taux de criminalité ne cesse de croître. Il faudra bien observer la situation après la coupure du Nouvel An chinois, mais je pense qu'il n'y aura pas de travail pour tout le monde dans le Guangdong.
Comment vont réagir les autorités nationales et provinciales face une situation sociale qui risque de s'aggraver ?
Un bras de fer se joue entre les deux pôles du pouvoir. Le Guang dong ne veut plus de ces grosses et vieilles usines utilisant une main-d'oeuvre abondante, alors que Pékin est décidé à les soutenir, conscient de l'urgence de procurer du travail à des millions d'ouvriers qui risquent de se retrouver sans rien. Le gouvernement central sait que cette main-d'oeuvre doit être absorbée quelque part, sur la côte ou à l'intérieur, c'est pourquoi le Parti a lancé de grands projets d'infra structures routières et ferroviaires, afin de désenclaver les provinces intérieures et ainsi mieux répartir le développement économique. Il reste toutefois un problème cultu rel et politique important avec les provinces intérieures : la corruption s'étant institutionnalisée dans le Guang dong, pour ouvrir et créer une entreprise il faut payer et tout le monde sait où. C'est simple. En revanche, dans le Hunan ou le Guangxi, on en est encore à un stade moyenâgeux, il faut trouver les bons réseaux, la bonne personne du Parti communiste avec le pouvoir et les tampons... Tout est encore opaque et ce ne sont pas les routes et les gares qui feront venir les investisseurs.
Quelle est votre perception de l'évolution économique chinoise pour 2009 ?
Les prophéties sont impossibles. Il n'y a pas de visibilité. Mais je suis pessimiste pour les ouvriers, qui n'auront pas tous la garantie de retrouver un travail.
RECUEILLI PAR DORIAN MALOVIC
PHOTO - À la sortie du congrès national du peuple, Pékin - 11 mars 2007 / AFP
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