Plus de six ans après avoir quitté la présidence de Vivendi Universal, « J2M » sort de sa réserve. Il publie un livre choc sur la crise (Le jour où le ciel nous est tombé sur la tête
), où il pointe les risques si rien n'est fait. « Il faut, dit-il en exclusivité à L'Express, réformer le système. Tout de suite. » Et, pour relancer, innover.
"... Les pays émergents, à commencer par la CHINE, ont financé la surconsommation et le surendettement du monde développé, en particulier des Etats-Unis. Ce sont encore eux qui financent la sortie de crise. Il est donc normal de leur donner voix au chapitre. Par ailleurs, la crise sonne le glas de la toute-puissance du modèle néolibéral, c'est-à-dire de la croyance dans un Etat minimal et dans l'autorégulation des marchés. Ce modèle doit être revu, enrichi, et tous ceux qui sont susceptibles d'y contribuer doivent pouvoir le faire ..."
(SUITE de l'entrevue)
Les Etats ont déversé des centaines de milliards dans l'économie mondiale. Pourquoi la machine ne repart-elle pas ?
> Parce que cette crise est d'abord une crise du virtuel. Non pas du « vrai virtuel », comme l'économie d'Internet, mais une crise de la finance pour la finance, de la finance pour la spéculation, de la finance pour le profit, sans véritable impact économique.
Une crise sans précédent...
> ... dont l'engrenage est dévastateur. Et, si l'économie tarde à redémarrer, c'est d'abord que, pour l'heure, les Etats n'ont fait que mettre en place des filets de protection. Ils n'ont pas réellement commencé à reconstruire. La purge, ensuite, n'est pas terminée. Enfin, le climat de défiance reste terrible. Et cette ambiance génère un attentisme formidable. Voilà pourquoi il va falloir sans doute faire plus et mieux.
C'est-à-dire...?
> Je suis convaincu que tous les gouvernements vont devoir présenter, ces prochaines semaines, de nouvelles propositions en matière de relance. Pour plusieurs raisons. La première, c'est que les plans de soutien mis sur la table représentent plus ou moins 1 % de la richesse nationale des différents pays. Or le coup de frein est bien supérieur. La seconde, c'est que ces plans sont d'une trop grande disparité. Si l'on veut éliminer les défiances des uns envers les autres, il faut que les mesures de relance soient parallèles, qu'elles aient les mêmes effets, qu'elles soient organisées.
Vous soulignez, dans votre ouvrage, le « retour triomphant du politique ». Mais gouvernements et Etats ne trouvent pas tous grâce à vos yeux...
> Si l'on établissait, avec tout l'arbitraire que suppose un tel exercice, un classement des élèves de la classe mondiale, on pourrait accorder le premier prix à la Grande-Bretagne, celui de la communication et du dynamisme à la France et celui du cafouillage aux Etats-Unis. Londres y est allé très fort en choisissant de laisser filer son déficit et de baisser les impôts. Paris a préféré agir tous azimuts en empruntant les meilleures des dispositions adoptées à travers le monde. Les Américains, eux, ont été effrayés et tenus en laisse par leur idéologie néolibérale. Ils ont été incapables de mettre en place un plan d'urgence qui fasse l'unanimité. Puis ils ont décidé de recapitaliser leurs banques, après avoir soutenu qu'il ne fallait pas le faire. Et, au milieu de tout cela, ils ont laissé Lehman Brothers faire faillite et subi l'humiliation du scandale Madoff. Heureusement, l'élection de Barack Obama peut changer beaucoup de choses.
Et l'élève allemand ?
> Il a franchement déçu. Forte d'un excédent commercial de l'ordre de 7 % de son PIB, l'Allemagne disposait de la plus grande marge de manoeuvre en Europe pour pouvoir effectuer une relance significative par la consommation. Elle n'en a pas profité.
Les Etats ont déjà levé ou vont devoir lever des milliers de milliards de capitaux pour financer leurs plans. N'installe-t-on pas la prochaine bulle du capitalisme, celle de la dette publique ?
> C'est une vraie préoccupation. Aujourd'hui, les Etats sont perçus comme les seuls investisseurs auxquels on puisse encore faire confiance. Mais, dès que l'économie repartira, leur présence envahissante sur les marchés financiers entraînera inévitablement des effets d'éviction, au détriment du financement direct des entreprises. Si l'on ne peut pas parler d'un risque d'éclatement d'une bulle de la dette publique, il existe bel et bien celui de ponctions trop fortes des Etats qui viendraient retarder le retour à une croissance normale. C'est en ce sens que les Etats doivent être capables à la fois d'agir et de préparer leur retrait. Pour moi, ils ne sont, en situation de crise, que des passagers de la pluie.
En matière de régulation, quelles sont les mesures à prendre ?
> Il n'existe dans l'Histoire aucune crise d'une telle ampleur qui ne se soit pas traduite par des changements profonds. Celle-ci risque de mettre 20 millions de personnes au chômage, plonge sans doute des centaines de millions d'autres dans la pauvreté, oblige les Etats à prendre les rênes de l'économie. On ne peut pas ne pas réformer un système qui aboutit à de telles conséquences. Il faut donc taper du poing sur la table, et le faire tout de suite, avant que les conforts de pensée, le poids des lobbies et des intérêts particuliers ne reprennent le dessus.
Quelles sont les priorités ?
> L'élément clef, pour dépasser la crise, pour rétablir la confiance, c'est de revenir au bon sens. Je vais prendre trois exemples, très simples. Premièrement, on vend ce que l'on a, et non ce que l'on n'a pas. Cela signifie qu'il faut interdire les ventes à découvert « nues ». Deuxième exemple : on assure seulement ce qui existe. Constater que des produits financiers d'assurance représentent dix fois la dette d'une entreprise, cela dépasse le sens commun, et l'expérience a montré que cela coûtait très cher lorsque les choses tournaient mal. Troisième remarque : on me dit ce que j'achète. Je crois beaucoup à la notion de label. Je veux savoir, ainsi, si l'assurance-vie que je souscris contient des produits dérivés. Pendant l'épidémie de la vache folle, j'ai recommencé à manger du boeuf parce que je savais qu'il était tracé. Eh bien, en matière financière, je reprendrai confiance quand j'aurai ces éléments de labélisation !
Cela passe aussi, expliquez-vous, par une mise en cause des paradis fiscaux.
> Absolument. Il faut, à défaut de les tuer, les asphyxier complètement. Les paradis fiscaux sont une perte de recettes pour l'ensemble des économies normalement fiscalisées, saines. Ils représentent surtout un gigantesque trou noir, et cela n'est pas un hasard si deux tiers des hedge funds y sont localisés. S'y attaquer représente sans doute la mesure globale la plus efficace, à moyen terme.
Ne s'agit-il pas d'un voeu pieux ?
> Non. Je propose deux mesures très simples à appliquer. La première, c'est que les Etats dénoncent, lorsqu'ils en ont, leurs conventions fiscales avec ces paradis fiscaux. La seconde, c'est de refuser aux banques qui y sont implantées toute aide publique mise en oeuvre dans le cadre de la relance.
Vous semblez plutôt optimiste...
> Oui, en raison de la prise de conscience des citoyens. Grâce à Internet, leur pression sur les politiques se fait de plus en plus forte. Je suis optimiste, aussi, parce que la nouvelle génération d'élus au pouvoir - de Nicolas Sarkozy à Gordon Brown et bientôt Barack Obama - a parfaitement compris ces enjeux. Et c'est également l'objectif de ce livre de participer à cet effort de conviction, d'alerter sur les risques énormes que nous prendrions si nous ne réalisions pas les réformes nécessaires. Je suis optimiste, donc, mais toujours vigilant. Il faut agir plus fort, tout de suite.
N'est-ce pas, en fait, la gouvernance mondiale qui doit être revue ?
> Il faut être réaliste : les pays émergents, à commencer par la Chine, ont financé la surconsommation et le surendettement du monde développé, en particulier des Etats-Unis. Ce sont encore eux qui financent la sortie de crise. Il est donc normal de leur donner voix au chapitre. Par ailleurs, la crise sonne le glas de la toute-puissance du modèle néolibéral, c'est-à-dire de la croyance dans un Etat minimal et dans l'autorégulation des marchés. Ce modèle doit être revu, enrichi, et tous ceux qui sont susceptibles d'y contribuer doivent pouvoir le faire.
Comme l'Europe ?
> Cette crise donne à l'Europe une formidable chance de devenir le capitaine d'équipe de ce monde multipolaire qui se dessine. Parce qu'il y a dans notre culture une capacité à comprendre la diversité, à mener un dialogue avec les pays du Sud beaucoup plus forte qu'aux Etats-Unis. De plus, la réaction de l'Europe à la crise, grâce notamment au formidable allant de Nicolas Sarkozy, a été extraordinairement positive. Et l'euro a constitué un solide rempart.
Vous appelez à un New Deal vert au niveau mondial. Qu'est-ce que cela signifie ?
> On n'a jamais disposé d'autant d'argent pour essayer de lancer des politiques publiques intelligentes et concertées. Au lieu d'appliquer de vieilles recettes sociales-démocrates consistant à faire du saupoudrage d'aides sans discrimination, essayons de concentrer cette masse de capitaux pour relever le grand défi du xxie siècle : la protection de la planète et le développement durable. Concentrons les aides sur les technologies et produits propres, des énergies renouvelables au numérique - secteurs, en outre, extrêmement productifs, en termes d'emplois. On fait coup double, et même coup triple, car ce sont aussi des domaines dans lesquels les transferts de technologies vers les pays émergents sont les plus faciles. Nous prendrions une terrible responsabilité à l'égard de nos enfants en ne relevant pas ce défi-là. « Plus jamais ça ! », c'était Bretton Woods, au xxe siècle. Pour le xxie, je propose un New Deal vert.
Propos recueillis par; Abescat Bruno; Masse-Stamberger Benjamin
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