lundi 12 janvier 2009

La Chine et l'Inde face à leurs fragilités - Gabriel Grésillon

Les Echos, no. 20333 - Idées, vendredi, 2 janvier 2009, p. 10

C'était il y a un an, une éternité. En ce temps-là, le mot « récession » restait sagement cantonné dans les livres d'histoire économique. Les experts en prospective, eux, ne s'interrogeaient que sur l'ampleur du « ralentissement » qui s'annonçait sur la planète. L'un de leurs thèmes de prédilection était alors celui du « découplage » : allait-on voir les grands pays émergents s'émanciper pour de bon de la tutelle du monde industrialisé ? La Chine et l'Inde, notamment, étaient-elles sur le point de faire la démonstration de leur capacité à voler de leurs propres ailes, indépendamment des coups de déprime de l'Occident ? Allaient-elles, même, devenir les nouveaux moteurs de la croissance mondiale ?

Rarement concept économique aura connu une existence si brève. En ce début 2009, le verdict est sans appel : le découplage a vécu. Pékin et New Delhi doivent bien admettre que leur destin économique reste étroitement lié à celui du reste de la planète. Avec 38 % de son PIB dépendant des exportations, la Chine a un besoin impérieux des consommateurs américains, européens et japonais. Ceux-ci étant mal en point, les exportations de la Chine ont connu leur première baisse en sept ans au mois de novembre. Et à en croire la Banque mondiale, la croissance de l'empire du Milieu, qui caracolait à 11,9 % début 2007, devrait tomber autour de 7,5 % cette année. Un chiffre qui porte en germe la menace de troubles sociaux. Les entreprises exportatrices les plus vulnérables mettent déjà la clef sous la porte.

Le mécanisme de transmission de la crise à l'Inde est différent, car les exportations représentent seulement 22 % du PIB de la plus grande démocratie du monde. Sa croissance est donc moins directement corrélée aux chiffres des ventes mensuelles des Wal-Mart et autres Carrefour. Mais le retour de la frilosité sur les marchés financiers a fait chuter la Bourse de Bombay de 60 %, tandis que la roupie dégringolait de 20 % en un an. C'est tout l'édifice indien qui inquiète désormais les investisseurs. Lesquels n'ont pas eu grand mal à plier bagage, puisqu'ils avaient construit peu d'usines sur place, préférant prendre des parts dans des sociétés. Ce retrait des capitaux étrangers est intervenu dans une économie déjà en mal de liquidités, les taux d'intérêt étant très élevés afin de combattre l'inflation. Aujourd'hui, même le géant Tata en est réduit à chercher des fonds auprès du grand public plutôt qu'auprès des banques.

A l'excès d'enthousiasme a succédé un pessimisme tout aussi déraisonnable. Ce qui apparaissait jusqu'alors comme des contraintes surmontables - la vétusté des infrastructures, l'endettement chronique de l'Etat indien, l'extrême lenteur des processus de décision - est subitement devenu insupportable aux yeux des investisseurs. Les attentats de Bombay n'ont rien arrangé : outre qu'ils rappellent que les tensions diplomatiques restent fortes dans la région, ils ont agi comme un révélateur de l'incurie des autorités, lentes dans leur réaction et incapables d'anticiper la catastrophe malgré des indices concordants.

Ce revirement repose donc essentiellement sur des causes psychologiques. C'est ce qui en fait la violence. C'est aussi ce qui devrait inciter à ne pas en dramatiser la gravité. Car la démocratie indienne a fait la preuve de sa solidité par le passé. Aujourd'hui, les dirigeants du pays n'ont que peu d'hésitations sur la marche à suivre pour sortir de l'ornière. Certaines réformes s'imposent. Beaucoup nécessiteront, certes, du courage politique, comme le démantèlement des subventions qui coûtent près de 3 % du PIB. Mais l'Inde a trop goûté, ces dernières années, aux délices de la croissance vigoureuse, en retrouvant notamment son rayonnement international, pour ne pas chercher à en retrouver le chemin. Quel que soit le verdict des urnes au printemps prochain, les futurs dirigeants du pays connaîtront la marche à suivre pour remettre l'Inde sur pied. Et ils pourront compter sur des entrepreneurs aguerris pour être les acteurs de cette résurrection.

En comparaison, la Chine va devoir s'engager en terrain inconnu. Elle s'est construite, depuis trois décennies, sur un mécanisme atypique : usine du monde, elle a concentré ses efforts sur une offre pléthorique, se souciant peu de la demande. Celle-ci était à la fois lointaine, croissante, et semblait relativement inépuisable. Impossible de continuer sur cette voie avec la crise mondiale : Pékin va devoir actionner sa demande interne. Ce qui implique un changement des mentalités et une nouvelle capacité d'adaptation de l'appareil productif. Même challenge en matière financière. Les banques restent contrôlées par l'Etat, ce qui se traduit par un sérieux biais en matière de crédit : mieux vaut être une entreprise en bon termes avec le parti pour obtenir des fonds. En temps de crise, il est urgent de remettre de la rationalité économique dans le système et de favoriser les acteurs économiques réellement innovants ou performants. Si la Chine a pu se développer sur un paradoxe apparent - le capitalisme sans libéralisme réel -, la crise mondiale pourrait sonner la fin de ce schéma.

Note(s) :

Gabriel Grésillon est journaliste au service International des « Echos ».

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