mercredi 7 janvier 2009

Le barrage des Trois-Gorges menacé par les ordures - Chen Jiang

Courrier international, no. 949 - Asie, jeudi, 8 janvier 2009, p. 29

La mise en eau du réservoir des Trois-Gorges a dû être interrompue : les tonnes de détritus déversées dans le fleuve par les localités riveraines risquaient d'endommager les turbines.

Le remplissage du réservoir du barrage des Trois-Gorges a provisoirement été arrêté à 172,47 m, soit 2,53 m au-dessous du niveau prévu (175 mètres). Son envahissement par les déchets a en effet montré que les installations de protection de l'environnement dans la zone étaient loin d'être suffisantes.

La décision d'interrompre le remplissage a été prise en tenant compte de plusieurs facteurs. L'affaire des ordures n'est qu'un des problèmes qui ont émaillé les seize ans d'histoire du chantier du barrage des Trois-Gorges. Ce programme a déjà englouti plusieurs centaines de milliards de yuans. Atteindre le niveau des 175 mètres devait permettre à des navires de haute mer de rejoindre Chongqing [juste en amont du grand lac de retenue du barrage] depuis Shanghai.

Vers la mi-novembre, toutes les bourgades situées en amont et en aval du grand réservoir des Trois-Gorges poussaient un soupir de soulagement, car, au terme de près de deux mois d'efforts acharnés, les équipes chargées du nettoyage des déchets sur les différents tronçons du fleuve en amont étaient enfin parvenues à une réduction significative de la quantité d'objets flottant à la surface du cours d'eau.

Pas d'installation de traitement en amont

Les services municipaux de l'agglomération de Chongqing ont publié les statistiques suivantes : les districts concernés ont repêché près de 400 000 tonnes de déchets flottant à la surface ; pour cela, ils ont dû mobiliser 33 895 personnes et 7 687 bateaux nettoyeurs. L'équipe de nettoyage de Wanzhou, dirigée par Liu Gujun, a établi un surprenant record : 200 tonnes de déchets repêchés en une seule journée ! Une véritable épreuve de force pour ces hommes en train de livrer un combat acharné contre les ordures flottant sur le Yangtsé.

Selon Liu Gujun, la question de la gestion des ordures n'a pas été intégrée dans les études préliminaires à la conception du barrage. "Ce travail ne peut s'arrêter un instant, puisque toute présence humaine produit des ordures et que, si celles-ci sont happées par les installations du générateur, un accident se produira inévitablement."

A Wanzhou, le lit du fleuve, autrefois étroit, s'est élargi de façon considérable avec la mise en eau du bassin de retenue. Malgré tout, le trajet du cours d'eau épouse toujours les anciens méandres, et de grandes quantités d'ordures s'y accumulent.

Selon les explications d'un responsable du Bureau de l'environnement de Wanzhou, la ville a demandé récemment au cabinet d'architecture Huabei, de Tianjin, de concevoir une importante station de retraitement. Intéressées par cette initiative, les villes des districts situés en amont ont dépêché des agents sur place.

En effet, la plupart de ces bourgades ne disposent pas d'installations de retraitement des ordures dignes de ce nom et elles ont pour habitude de gérer les déchets en les entassant au bord du fleuve. Ainsi, on observe un contraste frappant entre les installations, restées à un stade primitif, des sites à proximité du bassin de retenue et les technologies sophistiquées utilisées pour le barrage des Trois-Gorges. "Ces bourgades ne disposent d'aucune station de retraitement des déchets ou des eaux usées, à quelques exceptions près. Les ordures continuent donc de s'amonceler le long du fleuve. C'est n'importe quoi !" dit ce responsable.

Nombreux effondrements et glissements de terrain

Ce problème des ordures, pour irritant qu'il soit, n'a pas été le seul lors de la mise en eau du réservoir. A Wanzhou, non loin de l'embarcadère près duquel Liu Gujun et son équipe de nettoyage s'activaient, on a découvert récemment que la route qui longe le fleuve (la "rue de la rive nord") commençait à se fissurer et qu'en certains endroits elle était même affaissée. Les services municipaux ad hoc ont été dépêchés sur place pour constater les dégâts.

Ce genre d'incident n'est pas rare depuis la mise en eau de l'ouvrage. D'après un rapport sur la protection et le développement du Yangtsé, rédigé conjointement par l'Institut de géographie et de limnologie de Nankin (qui dépend de l'Académie des sciences), par la Commission de l'aménagement hydraulique du Yangtsé et par le Fonds mondial pour la nature (WWF), des effondrements ou des glissements de terrain se seraient produits en 4 719 endroits différents dans l'ensemble du bassin de retenue depuis son remplissage ; dans 627 cas, les incidents seraient directement liés à la montée des eaux.

Parallèlement, en aval du grand barrage des Trois-Gorges, le remplissage du bassin de retenue a provoqué une diminution du débit des eaux du bassin moyen du Yangtsé, dont le niveau, ainsi que celui de ses affluents, n'a cessé de baisser, posant de sérieux problèmes, d'une part, au transport fluvial et, d'autre part, à l'alimentation en eau des régions riveraines.

Début novembre, la commission chargée par le Conseil des affaires de l'Etat de la construction du barrage des Trois-Gorges a donc exigé l'arrêt de la mise en eau du réservoir.

Encadré(s) :

Canal Sud-Nord

Les travaux pourla construction du canal de diversion des eaux du Sud vers le Nord, qui doit alimenter la région pékinoise, nécessiteront le déplacement de 210 000 personnes sur cinq ans dans la province du Henan, note le magazine économique Zhongguo Jingji Zhoukan. Avec les provinces avoisinantes, ce seront 400 000 personnes qui devront céder la place à l'un des plus grands chantiers hydrauliques de la Chine aprèsle barrage des Trois-Gorges, pour lequel 1 million de personnes ont dû déménager sur une période de quinze ans.

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