Li Ping
Apple Daily (Hong Kong)
Malgré l'ampleur du scandale et le nombre des victimes, les hauts fonctionnaires et les responsables politiques ont échappé à toute sanction. Un état de fait qui provoque l'ire de l'opinion publique.
Un premier jugement a été rendu le 22 janvier, à Shijiazhuang, capitale de la province du Hebei, dans l'affaire du lait en poudre contaminé à la mélamine qui a fait au moins six morts et provoqué des problèmes rénaux chez près de 300 000 nouveau-nés en Chine. Certes, deux agriculteurs ont été condamnés à mort, Tian Wenhua, l'ancienne PDG de la société Sanlu qui a produit et écoulé le lait contaminé, a été condamnée à la prison à vie, et le groupe en faillite a été condamné à verser une amende de 49,30 millions de yuans [5,4 millions d'euros], mais ce verdict est-il rassurant ? Pas sûr, d'autant que les tribunaux persistent à refuser de recevoir les demandes de dédommagement des familles et que les hauts fonctionnaires impliqués dans cette affaire continuent d'échapper à la justice.
Les deux agriculteurs condamnés à mort ont été reconnus coupables d'avoir nui à la sécurité publique par des pratiques dangereuses et d'avoir commercialisé des produits alimentaires toxiques. En revanche, le chef d'accusation retenu contre les dirigeants de Sanlu, dont Tian Wenhua, étant d'avoir mis en vente des produits frelatés, ils encourraient la perpétuité comme peine maximale. Autrement dit, ils étaient sûrs dès le départ d'échapper à la mort. Pourtant, après avoir reconnu le 1er août que leur lait contenait de la mélamine, les dirigeants de Sanlu ont continué à en produire jusqu'au 12 septembre, soit plus de 900 tonnes au total, dont 813 tonnes ont été vendues. Pourquoi ces gens-là n'ont-ils pas eux aussi été reconnus coupables d'avoir produit et vendu des produits toxiques ?
En réalité, le fait que tous les tribunaux de Chine refusent de recevoir les demandes de dédommagement dans cette affaire prouve que l'instruction n'a été qu'un simulacre, qu'elle était manipulée en coulisses par le gouvernement et la commission juridique et politique du Parti communiste. Le lait contaminé a fait des victimes dans presque toutes les provinces chinoises. Normalement, la Cour suprême aurait dû ordonner une délocalisation du procès pour éviter toute ingérence des pouvoirs publics du Hebei dans son déroulement. Mais les autorités n'ont même pas pris la peine de sauver les apparences. En d'autres termes, l'affaire peut être close sans sortir de la province. On n'a aucunement à craindre qu'un procureur, un juge ou un avocat irrespectueux demande des détails sur les dessous explosifs de l'affaire !
Dans un rapport écrit adressé le 2 août à la mairie de Shijiazhuang, le groupe Sanlu reconnaissait avoir décelé de la mélamine dans des poudres de lait dont il avait demandé le retour. Le problème est que non seulement la mairie n'a pas exigé de Sanlu l'arrêt de sa production, mais qu'elle s'est opposée à un rappel des produits et a même décidé d'étouffer l'affaire, afin d'éviter toute plainte des consommateurs ou toute insistance des médias sur le sujet. Même si le secrétaire du Parti pour la municipalité de Shijiazhuang, Wu Xianguo, le maire Ji Chuntang et deux de ses adjoints ont été limogés, pourquoi le procureur n'a-t-il pas poursuivi ces hauts fonctionnaires pour manquement à leur devoir ? Pourquoi la cour ne les a-t-elle pas cités à comparaître ?
En Chine comme à l'étranger, la presse se demande si ce n'est pas par crainte que le scandale ne ternisse la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin, le 8 août, que les autorités ont étouffé jusqu'en septembre l'affaire du lait contaminé. De nombreuses questions se posent : ces hauts fonctionnaires avaient-ils lu le rapport du groupe Sanlu ? Quand Wu Xianguo et Ji Chuntang se sont-ils réunis pour en discuter ? A qui en ont-ils référé ? Pourquoi le gouverneur du Hebei, Hu Chunhua [nommé à ce poste en avril 2008 par Hu Jintao, dont il est proche], n'a-t-il pas été inquiété ?
La population est-elle vraiment satisfaite du comportement du gouvernement provincial ? Essayons de savoir ce que pensent les citoyens qui se sont vu interdire l'accès au tribunal pour assister au procès, les familles d'enfants malades qui ne peuvent demander de dédommagements devant les tribunaux, les familles de victimes chassées et battues pour avoir tenté d'exposer leurs doléances en haut lieu !
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