Eiichi Shibusawa n'en croirait pas ses yeux. Le père du capitalisme japonais, fondateur au XIXe siècle de quelque 500 entreprises, ne pourrait admettre qu'au dernier trimestre 2008 l'économie japonaise a reculé trois fois plus que celle des Etats-Unis. En rythme annualisé, le PIB du Japon s'est contracté de - 12,7 % au lieu de 3,8 % pour les Etats-Unis. Quelle fragilité peut produire de tels effets ?
C'est tout d'abord la stratégie des entreprises au cours des dernières années qui conduit à cette impasse. A force de délocaliser ses productions en Chine, la Japan Inc. a, depuis la fin des années 1990, modifié ses flux d'exportations pour se muer en fournisseur de matériaux, de composants haut de gamme et de produits semi-finis expédiés dans des zones à bas coûts salariaux qui assurent l'assemblage et l'expédition vers le destinataire final.
Pour contourner le manque de dynamisme du marché intérieur, les Toyota, Sony et autres Toshiba n'ont eu d'autre choix que de se tourner, au point de s'y noyer, vers l'exportation. Les Etats-Unis et la Chine sont quasiment ex aequo comme premiers débouchés commerciaux du Japon. A eux deux, ils ont absorbé, l'an dernier, plus de 35 % des exportations de l'Archipel.
En outre, profitant d'un avantage de change réel, les firmes japonaises se sont lancées dans une course aux volumes sans précédent. Sans prendre garde à un éventuel retournement du marché. C'est précisément la lecture des résultats du dernier trimestre, où, la demande extérieure tarie, les exportations plongent de 13,9 %. L'ajustement n'en est que plus brutal. Quitte à restructurer, les industriels profitent de la crise pour surréagir et nettoyer leurs bilans afin d'être prêts le jour où la croissance reviendra. Le phénomène est particulièrement net dans l'automobile, où les stocks commençaient à s'accumuler. Il l'est moins dans l'électronique grand public, même si la fermeture de 27 usines annoncée par Panasonic pose bien des questions. Le groupe, qui est en train d'acheter Sanyo, peut être tenté, sous prétexte de gestion de crise, d'éliminer les doublons et donc de fermer dans cette optique certaines installations.
Les dirigeants politiques portent eux aussi une grande part de responsabilité dans l'immobilisme dans lequel ils maintiennent le pays et qui le consume à petit feu. Ils n'ont eu de cesse, depuis le départ de Junichiro Koizumi en 2006, de mettre un coup d'éteignoir systématique sur toutes les réformes lancées par ce Premier ministre hors normes depuis 2001. Jusqu'à la réforme de la Poste, son projet phare, qui est remise en question par l'actuel Premier ministre, Taro Aso. L'immobilisme a été accentué par les bureaucrates, véritable pouvoir occulte de l'Archipel.
Le ministère des Finances est souvent montré du doigt pour avoir refusé de suivre le gouvernement dans les réformes fiscales. Le chantier de la relance de la consommation par la fiscalité ne pouvait pas être ouvert. De même celui de la consolidation des industries n'a jamais eu lieu.
Dans la distribution, l'aérien ou encore la pharmacie, les autorités n'ont jamais donné l'impulsion vers un regroupement des entités. Pas plus qu'elles n'ont réellement aidé au financement de l'économie en améliorant l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises, qui assurent 70 % de l'emploi.
Si les groupes industriels ont péché en privilégiant trop l'étranger au détriment du marché intérieur, les politiques ne les ont en rien aidés. Le constat d'échec à présent est cinglant et va coûter fort cher au pays. Car les entreprises, piégées par la chute de l'exportation, sont toutes tombées dans le rouge au troisième trimestre, du fait, il est vrai, de solides provisions. Pis, elles ont annoncé des plans de licenciement massifs, touchant plus de 100.000 personnes pour les seules grandes entreprises. Les travailleurs temporaires, soit un tiers de la population active, sont en première ligne et perdent en même temps que leur emploi bien souvent leur logement, prêté par l'entreprise. Le taux de chômage ne cesse de grimper. Après être passé de 3,9 % à 4,4 % au dernier trimestre, il se rapproche de son record de 2002 (5,5 %). La confiance des ménages est au plus bas et la consommation ne repart pas. Quant aux politiques, ils ont perdu leur crédibilité. Moins de six mois après le début de son mandat, le Premier ministre, Taro Aso, voit sa cote de popularité tomber sous les... 10 %. Le Parti libéral démocrate qu'il dirige est usé par cinquante ans au pouvoir quasiment sans discontinuer.
Avec la crise, c'est la rupture qui se profile.
Des entreprises comme NEC commencent à relocaliser pour réduire notamment leur cycle de production et les frais de transport. Pour beaucoup, l'alternance politique peut survenir cet été avec les élections législatives. De quoi permettre à l'Archipel de repartir plus tard d'un bon pied. Quand la croissance sera revenue. Alors Eiichi Shibusawa pourra de nouveau être heureux.
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