Les champs de blé et les mines de charbon n'arrivaient plus à les nourrir. Ils ont migré vers la côte. Mais avec la crise, ils reviennent au pays. Reportage dans un village de la province du Henan.
LA GUEULE de bois. Passés les fêtes et les feux d'artifice, les retrouvailles familiales et l'engourdissement hivernal, le monde et sa crise se réinvitent dans les ruelles en terre de Shiying. Dans ce village de la province du Henan, les statistiques racontent la folle histoire du développement de la Chine des « Trente Glorieuses ». Quelque 1 000 habitants, 300 foyers, 300 travailleurs migrants. Un tiers des habitants, un par famille. Alors, quand les bassins d'emplois de la côte s'enrhument, Shiying tousse fort. Pour le Nouvel An chinois, 150 migrants sont revenus au village cette année. « C'est peut-être trois fois plus que d'habitude, explique Zhang Yongzhou, le chef du village, et la plupart ne savent pas s'ils vont repartir et où. »
Le Henan, province « pauvre » du centre de la Chine, est grosse pourvoyeuse de « mingongs ». Ici, les champs de blé ou les mines de charbon ne suffisent pas à nourrir 100 millions de personnes. La province a « exporté » près de 20 millions de migrants. « On estime que 15 % d'entre eux sont touchés par la crise, explique Hou Hongguang, directeur du bureau du travail de la ville-préfecture de Pingdingshan, ce qui fait plus de 2,8 millions de personnes en difficulté. »
À l'échelle nationale, les autorités chinoises ont affirmé récemment que 25 millions de migrants (sur 130 millions officiellement) avaient perdu leur emploi. D'où des craintes grandissantes de voir une fièvre sociale gagner le pays au printemps. Une directive émanant du comité chargé de la sécurité publique du Parti communiste a fait savoir à toutes les autorités du pays qu'il était primordial « de contrôler des facteurs d'instabilité ou des problèmes comme le logement, le marché des actions, les faillites d'entreprises, les licenciements de masse et les ouvriers migrants qui retournent dans leurs campagnes ».
Un rêve de petite entreprise
Dans la cour froide de la modeste maison familiale de Shiying, Zhang, 25 ans, est l'un de ces « facteurs d'instabilité ». Après avoir vissé des composants électroniques à la chaîne à Shenzhen, il engraisse six porcs qui se vautrent avec bonheur dans la courette. « Ce n'est pas cela qui va me faire vivre, raconte-t-il, heureusement, il y a l'espoir de la nouvelle fabrique. »
Shiying a en effet sa belle histoire, qui reste cependant pour l'essentiel à écrire. Zhang Yongjian, 42 ans, et Yin Haihui, 34 ans, travaillaient tous deux dans le Zhejiang, dans une usine de fabrication de portes en tôle qui a commencé à flancher. « On s'est aperçus que toutes les portes de notre région natale étaient importées du Zhejiang, explique Yin, alors on s'est dit que l'on pouvait les fabriquer et les vendre sur place. » Les deux compères ont mis toutes leurs économies dans l'histoire, construit un hangar à la lisière du village et acheté les machines-outils nécessaires. Ils comptent employer une vingtaine de personnes. Les premières portes, des « prototypes », s'appuient contre les murs. « Nous avons été encouragés par les autorités, affirment-ils, pas d'impôts et elles doivent nous faciliter l'accès au crédit. »
Au bureau du travail de Pingdingshan, Hou Hongguang confie avoir reçu encore de nouvelles directives de Zhengzhou, la capitale du Henan, et de Pékin. « On nous a demandé de traiter de la même manière les chômeurs urbains et ruraux, explique-t-il, avant, un certain nombre d'aides étaient réservées aux habitants des villes. »
Il explique que depuis 2006, des formations pour la reconversion des « mingongs » existaient bien, mais avec des quotas d'allocataires. Pékin vient de demander que tous ceux qui le désirent puissent bénéficier d'une formation. La ville compte déjà quarante-cinq petits centres d'instruction.
Des organismes privés et souvent sommaires, que le gouvernement local labellise, comme le « centre Dongfeng pour la formation d'engins de chantiers ». On est ici au coeur du sujet, puisque le plan de relance chinois repose essentiellement sur de grands travaux, routes, train, aéroports...« Les jeunes migrants de retour passent ici un mois et demi à deux mois, explique le directeur, Du Dongyu, les subventions du gouvernement couvrent 15 % à 20 % de leur formation, ils paient le reste avec leurs économies. »
Rééquilibrer les deux Chine
Dehors, des jeunes s'essaient à la pratique sur deux pelleteuses qui labourent un terrain vague. Mais Zhang Haifeng, 19 ans, en est encore au simulateur, une installation rudimentaire reposant sur un fauteuil de coiffeur sur lequel des manettes sont scotchées, et un écran plat de télévision collé au mur. « Je travaillais dans une usine de jeux électroniques, près de Nankin, explique-t-il, je n'ai pas été licencié mais notre salaire était fonction de la production. Or, elle s'effondrait, et j'ai demandé à partir. On m'a dit que c'était le secteur où il y avait le plus de débouchés. » Plus inquiétant, Du Dongyu affirme recevoir de plus en plus de diplômés de l'université sans emploi.
Il reste difficile de savoir quel sera l'impact social de la crise, atténuée par les solidarités familiales et les capacités d'adaptation des Chinois. Les autorités espèrent que la tempête permettra à terme de rééquilibrer les deux Chine, de la côte et de l'intérieur, en favorisant le marché intérieur et en élevant en gamme le niveau des industries chinoises. On a vu, récemment, le numéro un mondial des microprocesseurs, Intel annoncer qu'il fermait des usines à Shanghaï mais qu'il en ouvrirait dans la province du Sichuan, pour abaisser ses coûts. La mue salutaire se fera, sans doute, mais il y aura de la casse entre-temps.
Pour l'heure, malgré de multiples déclarations alarmistes, on n'observe pas encore de panique. Mais l'heure de vérité viendra peut-être dans quelques mois, quand les pécules de ces migrants auront fondu et que les rêves de petite entreprise n'auront pas toujours pris corps. En attendant, avec une prose étonnante, la très officielle fédération des syndicats chinois a mis en garde il y a deux jours contre des « forces hostiles », venues « de l'intérieur comme de l'extérieur » et susceptibles de « travailler » les masses de millions de chômeurs.
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