La Chine perçoit la nouvelle administration américaine avec un mélange d'inquiétude et de perplexité. En fin de semaine dernière, Barack Obama a voulu rassurer Pékin en téléphonant à son homologue chinois, Hu Jintao. Le président américain a évité d'aborder de front les sujets qui fâchent, comme pour atténuer les effets de la " sortie " un peu rude du nouveau secrétaire au Trésor, Timothy Geithner. Ce dernier, avant sa prise de fonctions, a dit que M. Obama soupçonnait la Chine de " manipuler " le cours du yuan, et averti : Washington entend " amener la Chine à modifier ses pratiques monétaires ".
L'accusation n'est pas neuve, l'administration Bush n'ayant eu, elle aussi, de cesse de demander à Pékin d'apprécier le cours du yuan. Washington estime que la monnaie chinoise est maintenue artificiellement basse afin de favoriser les exportations de la République populaire. Selon l'analyse du directeur de l'Institut shanghaïen des études américaines, Ding Xinghao, ces désaccords sur les questions monétaires démontrent " le manque d'expérience " de l'équipe Obama " dans le domaine des relations internationales ".
M. Ding estime que les nouveaux responsables américains " continuent d'utiliser un langage de campagne électorale pour faire pression sur Pékin ".
Selon le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, les deux chefs d'Etat ont, lors de leur entretien téléphonique, manifesté leur intention mutuelle de " construire une relation sino-américaine plus positive et plus constructive ", M. Obama indiquant tout de même au président Hu qu'il était important de " corriger les déséquilibres commerciaux ", une allusion voilée à la question du taux de change.
Pourtant, même si le vice-président Joe Biden avait récemment demandé à Pékin de " jouer selon les règles auxquelles les autres se plient ", le porte-parole de la Maison Blanche a précisé que ces déclarations ne définissaient pas la politique de la nouvelle administration, démontrant la volonté américaine de calmer le jeu avec Pékin.
M. Obama fait face à un dilemme : tenter de rééquilibrer les échanges pour protéger les salariés américains - comme l'exigent des syndicats - risque d'ouvrir une guerre commerciale, en particulier avec les grands pays émergents. Or la Chine est le premier détenteur de bons du Trésor américain, c'est-à-dire la première force stabilisatrice de la dette des Etats-Unis.
Pour le moment, Pékin continue d'acquérir ces bons du Trésor, bien qu'ils soient beaucoup moins attrayants depuis que la réserve fédérale américaine a ramené ses taux directeurs à près de 0 %. Mais Washington a désespérément besoin que le rythme d'acquisition de ces bons ne se ralentisse pas. Si demain, par mesure de rétorsion, la Chine cessait d'en acquérir, les conséquences pour l'économie et la note de la dette américaine pourraient être gravissimes, compte tenu de l'augmentation faramineuse du déficit budgétaire prévu cette année aux Etats-Unis.
" DIALOGUE STRATÉGIQUE "
Mais s'il ne fait rien, Barack Obama se met à dos les syndicats, qui ont largement contribué à son élection. Or il a un besoin impératif de leur soutien pour mettre en oeuvre le plan de relance économique actuellement en débat au Congrès. Ceux-ci attendent de lui des mesures préservant l'emploi dans des domaines tels que l'acier ou le textile, par exemple, où la Chine tient une part croissante des importations américaines.
Côté chinois, la méfiance pour toute administration démocrate est traditionnelle. Pékin entretenait de bonnes relations avec George Bush et tout particulièrement avec son secrétaire au trésor, Henry Paulson. Son dernier voyage, fin 2008 à Pékin, avait été largement commenté par la presse chinoise, le gouvernement tenant à saluer le départ d'un " ami de la Chine ", en lui rendant hommage.
La politique chinoise de l'administration Bush, explique un professeur de relations internationales de l'Université du peuple de Pékin, Shi Yinhong, consistait " à éviter autant que faire se peut toute confrontation avec la Chine dans le but de multiplier les chances dans la relation économique ".
Avec Barack Obama, les choses vont changer : la secrétaire d'Etat Hillary Clinton vient d'évoquer la perspective d'un " dialogue stratégique " avec Pékin dont " l'économie est un aspect très important, mais pas le seul ".
Les dirigeants chinois ne sont pas inquiets sur le dossier de " l'île rebelle " taïwanaise, car les démocrates sont plus " souples " à leurs yeux que les républicains sur la question. Mais les déclarations de la nouvelle responsable de la diplomatie américaine peuvent laisser présager des désaccords sur des sujets tels que la répression chinoise des droits de l'homme ou la situation au Tibet.
Pour l'instant, M. Obama a tenu à ménager ses interlocuteurs et tenté d'envoyer un message de conciliation à Pékin après un départ un peu rugueux de la relation avec la Chine. Mais les Chinois ont déjà montré des signes de méfiance : le discours d'investiture, où M. Obama évoquait les erreurs du " communisme " et les " dissidences ", a été censuré en direct. Et lors du Forum économique de Davos, le premier ministre Wen Jiabao a accusé les Etats-Unis, sans les nommer, d'être les premiers responsables de cette crise, qui s'enracine dans une culture de " poursuite aveugle du profit ".
Sylvain Cypel et Bruno Philip
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