mercredi 18 février 2009

CINÉMA - « The Killer » a marqué son époque à coups de fusil

Les Echos, no. 20366 - Entracte, mercredi, 18 février 2009, p. 13

L'homme à l'imper noir - ADRIEN GOMBEAUD

L'assassin traverse le décor comme un requin : souple, puissant, silencieux. L'oeil se plisse, la main ne tremble pas. Le coup part. Quand la cible s'écroule, le tueur a déjà disparu. Le « Killer » de John Woo sera ce week-end à la cinémathèque de Toulouse dans le cadre d'une rétrospective consacrée au cinéma de Hong Kong.

Jeff (Chow Yun Fat) est un tueur professionnel classe et compétent. Au cours d'une fusillade, il blesse accidentellement une chanteuse de bar. Elle perd la vue jour après jour et Jeff accepte un ultime contrat pour lui offrir une greffe de la cornée. Largement inspiré du « Samouraï » de Jean-Pierre Melville, « The Killer » (1989) est un exercice de style époustouflant qui a marqué son époque à coups de revolver. Avec ce film et quelques autres, John Woo redéfinit les codes du cinéma d'action, portant le genre à un niveau de lyrisme inégalé. Baignée de lueurs blanches et bleues, la bataille finale dans l'église emporte ainsi le spectateur en apesanteur. On se croirait dans un aquarium : les ralentis suspendent les corps pendant qu'autour d'eux volent des débris divers, de la poudre, des copeaux de bois, des éclats de verre, des colombes qui s'enfuient et même une statue de la Vierge à l'Enfant en mille morceaux...

Costard blanc et cheveux en arrière, félin tranquille au milieu du chaos, Chow Yun Fat transforme sa cravate en garrot. Entre ses mains, le pistolet mitrailleur devient l'accessoire indispensable de l'homme moderne. « The Killer » est bien un authentique « film de mecs », une histoire qui place l'amitié virile au-dessus de l'amour fou. Le charme du film repose d'ailleurs en grande partie sur la fascination du cinéaste pour sa star. Quand la caméra l'enlace, la présence silencieuse de l'acteur suffit à faire une scène. Echarpe blanche, imper et chapeau noir, le tueur exécute d'abord ses proies d'un coup d'oeil. Jeff est un loup solitaire qui refuse autant l'ordre des flics que l'autorité des triades. Dans une Chine qui s'ouvrait à peine, pour quelques millions de spectateurs qui n'avaient connu que la propagande et le collectivisme, ce rebelle romantique était une aspiration à un idéal individuel. Mais il était aussi l'incarnation des valeurs oubliées de la chevalerie : fidélité, droiture, sens du sacrifice...

A la fin des années 1980, on croisait donc de jeunes Chinois arborant une longue écharpe blanche et un imper, même par le plus chaud des étés cantonais. En Occident, « The Killer » était à l'inverse un trésor secret, une oeuvre cachée, réservée aux initiés. Il fallait descendre dans les vidéostores des Chinatown pour débusquer une VHS pirate un peu floue. Le tueur de Hong Kong nous obligeait ainsi à faire un premier pas dans son monde... pour ne plus jamais nous laisser sortir.

ADRIEN GOMBEAUD

« The Killer », samedi à 19 heures à la cinémathèquede Toulouse (rens. : cinemathequedetoulouse.com)
Disponible en DVD (Metropolitan). « Les Trois Royaumes », nouveau film de John Woo, sortira le 25 mars.

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