Valérie Niquet, directrice du centre Asie de l'Institut français des relations internationales, analyse les conséquences du ralentissement de l'économie et de la baisse de la croissance.
Comment la Chine vivra-t-elle « l'année du boeuf » ?
Bien avant l'éclatement de la crise économique mondiale, elle devait faire face à des problèmes internes. Le ralentissement de l'économie chinoise, lié à ceux des États-Unis et de l'Europe, fait redouter au gouvernement une explosion du chômage qui pourrait entraîner de sérieuses turbulences sociales. De source officielle, des millions de travailleurs migrants, venus des campagnes pour travailler sur les chantiers des grandes villes et dans les usines tournées vers l'exportation, n'ont pas trouvé d'emploi ou ont perdu celui qu'ils avaient. Mais les effets de l'essoufflement de l'impressionnante croissance de la Chine sont diversement appréciés par les analystes chinois et étrangers. Certains d'entre eux, s'en tenant aux derniers indicateurs conjoncturels telle la hausse de quatre points de l'industrie chinoise en janvier, laissent espérer un redémarrage de la croissance même si celle-ci se limite à un taux proche de 8 %. Tout en prédisant une année très difficile, les autorités sont déterminées « à faire ce qu'il faut pour maintenir ce taux, quitte, précisent-elles, à puiser dans les réserves de change ». Autres signes encourageants : le rebond du crédit en janvier, et le bilan resté positif, pour le deuxième exportateur de la planète, de l'excédent commercial de 39,11 milliards de dollars en janvier, selon les statistiques des douanes, même si elles mettent aussi en évidence le net ralentissement de ce secteur, vital pour la Chine du fait de la raréfaction de la demande sous l'effet de la crise. Enfin, les moins pessimistes mettent l'accent sur le peu de déficit budgétaire de Pékin, évalué à 13 milliards d'euros en 2008, ce qui ne représenterait que 0,4 % du PIB.
Peut-on d'ores et déjà évaluer les conséquences de la crise ?
Les chiffres officiels en montrent des effets concrets. Les exportations, qui pèsent 38 % du PIB, ont chuté de 2,3 % en novembre et de 2,6 % en décembre. En décembre également, la production d'électricité a baissé de plus de 10 %, signe du ralentissement de l'activité industrielle, et surtout le gouvernement estime à près de 30 millions le nombre de travailleurs migrants réduits aujourd'hui au chômage. Une estimation qui n'inclut pas les chômeurs urbains ni les étudiants à la recherche d'un emploi. Le premier ministre, Wen Jiabao, a prononcé un discours à l'université de Pékin leur demandant d'être patients. On a l'impression que le moteur de la croissance chinoise basé sur les exportations à bas prix et les investissements extérieurs se grippe. Pour la Chine, encore en phase de décollage économique, le risque est que ce décollage s'arrête. La croissance, portée à 13 % en 2007, devrait tourner autour de 8 % en 2008 et, selon le FMI, elle ne serait que de 6 % en 2009. Les Chinois se montrent extrêmement inquiets et Wen Jiabao a déclaré récemment que l'impact de la crise financière allait être « pire que prévu ».
Quelle portée peut avoir le plan de relance de 460 millards d'euros ?
Les propositions sont intéressantes dans leur principe : développer le marché intérieur, renforcer la sécurité sociale et relancer des investissements donc donner du travail. Mais elles ne peuvent donner de résultat à court terme. On est très loin de la création d'un marché intérieur quand la consommation des ménages ne représente que 30 % du PIB et que ce marché n'est pas unifié. Il existe des barrières internes, chaque province joue ses propres producteurs. Il revient plus cher à une entreprise du Guangdong de vendre ses produits au Zhejiang, qui se protège, que de les expédier directement aux États-Unis, en Europe ou même en Afrique où, de plus, ils seront achetés à meilleur prix.
Vous pensez que cette crise touche le coeur du système économique ?
Depuis plusieurs années, le gouvernement affirme qu'il faut changer la nature de la croissance. Ce thème a été largement développé par le président Hu Jintao lors du 17e Congrès (en octobre 2007 - NDLR). La croissance triomphale avait occulté de graves problèmes. La Chine est aujourd'hui face à une conjonction de deux crises : la première a débuté avant 2008 et tient aux exigences plus fortes des pays importateurs de produits chinois concernant leurs normes de sécurité. Cela posait déjà des problèmes en termes de coût et de compétitivité. Dans le même temps, le gouvernement a tenté d'imposer une amélioration du droit social qui élevait aussi le coût du travail chinois. Est venue se greffer la crise des marchés américain et européen, principaux importateurs de produits chinois bon marché. La baisse des exportations a entraîné le retrait d'investisseurs, notamment les Chinois de Hongkong et de Taïwan. Ils avaient investi dans des usines faciles à monter et à démonter. C'est ce qui s'est passé : des dizaines d'usines importantes ont fermé du jour au lendemain dans le Guangdong et parfois en ne payant pas les salaires.
Peut-on parler d'une certaine fragilité de cette croissance ?
Oui. Cette fragilité vient du fait que pour réformer l'économie chinoise en profondeur et pour créer véritablement un marché intérieur, il faut une profonde réforme du système, y compris politique. Mettre en place un système minimal de santé partout en Chine implique de transférer des fonds d'État aux provinces, qui en ont théoriquement la charge. Mais la corruption pose un problème tel au sein des pouvoirs locaux, soustraits à tout contrôle, que le Centre hésite à le faire. C'est le système lui-même qui grippe la machine et bloque les réformes. L'amélioration des droits sociaux et des conditions de travail passerait évidemment par un syndicat qui aurait une réelle capacité d'action. Ce que redoutent les dirigeants chinois, qui ont observé l'exemple polonais et le modèle Solidarnosc.
On a eu l'impression, avec le 17e Congrès et la gestion du tremblement de terre, que quelque chose bougeait...
Effectivement. Il y a une capacité d'expression ouverte du diagnostic, c'est la différence avec les anciens systèmes socialistes. Hu Jintao, au 17e Congrès, a dressé d'une manière totalement transparente la liste des problèmes réels auxquels fait face le système. La direction chinoise estimait avoir le temps de le faire évoluer d'une manière suffisamment souple pour qu'il n'y ait pas de bouleversement radical. Mais la crise et les tensions qu'elle implique sont là et c'est maintenant que les choses doivent bouger. C'est aussi une question de moyens : la Chine a d'énormes réserves en devises (2 000 milliards de dollars - NDLR), mais elle les mobilise pour la défense du yuan. Elle a aussi besoin de ces fonds pour investir dans les provinces intérieures et les développer. Non seulement pour ce qui concerne les infrastructures - par le passé, ce sont les autoroutes qui ont été privilégiées aux dépens des routes qui relient les villages, parce qu'elles rapportaient plus d'argent - mais aussi pour l'éducation, la santé, la retraite et l'amélioration du niveau de vie. Les écarts entre le Zhejiang ou le Guangdong et les provinces intérieures sont énormes. Les premières se rapprochent du niveau occidental en termes de PIB par habitant, certaines des autres ne dépassent pas les niveaux de développement des pays les plus pauvres sur le continent africain.
Quel impact peuvent avoir des mouvements sociaux et des revendications plus politiques comme celles de la Charte 08 (1) ?
Les dirigeants chinois ont constamment à l'esprit le modèle d'effondrement du système socialiste du bloc de l'Est. En ce sens la charte les inquiète. Mais en même temps des membres du Parti communiste chinois l'ont signée, en dépit de la répression qui se poursuit. Et malgré les contrôles, elle continue de tourner sur Internet. Ce qui signifie qu'il y a bien des interrogations au sein du parti. Sur le terrain social et paysan, les mouvements restent pour le moment circonscrits. On peut parler de semi-jacqueries ou de révoltes sporadiques dans les usines. Elles peuvent être très violentes, sans nécessairement s'élargir au champ politique. Il est difficile de voir quel scénario peut émerger de la crise. La grosse inconnue concerne les ouvriers-migrants, les mingongs. Ils sont revenus dans leurs villages pour le Nouvel An chinois. Vont-ils retourner en ville après les congés pour rechercher du travail ? Que va-t-il se passer s'il n'y en a pas ?
(1) Manifeste pour une Chine démocratique, baptisé « Charte 08 » en référence à la « Charte 77 » de Vaclav Havel. Signée par des intellectuels, des paysans, des hommes d'affaires et même des membres du gouvernement, elle circule sur Internet depuis décembre.
Entretien réalisé par Dominique Bari
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