vendredi 6 février 2009

L'irrésistible ascension de la recherche chinoise - Yves Miserey

Le Figaro, no. 20069 - Le Figaro, vendredi, 6 février 2009, p. 11
Pour la première fois, le nombre de publications chinoises sur les nanotechnologies dépasse celui des États-Unis.

LA MONTÉE en puissance de la recherche chinoise a frappé tous les observateurs depuis plusieurs années. Mais le phénomène ne cesse de s'accélérer. Une étude récente montre que dans le secteur des nanotechnologies les chercheurs chinois publient déjà plus que les américains (Scientometrics, janvier 2009). C'était déjà vrai pour la chimie. Dans la plupart des autres disciplines, la part des publications chinoises continue d'augmenter rapidement au détriment des recherches américaines et européennes, explique Loet Leydesdorff, de l'université d'Amsterdam (Pays-Bas) et Caroline Wagner, de l'université George Washington (États-Unis). Les deux chercheurs se sont fondés sur deux indicateurs : le total des publications et leur nombre de citations.

La Chine se classe désormais en deuxième position derrière les États-Unis. Elle vient de dépasser le Japon alors que l'influence de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de la France est en constante diminution. En 1999, ces trois pays assuraient 20,3 % de la production mondiale ; en 2006, ils n'en représentent plus que 16,7 %, relevait déjà le rapport 2008 de l'Observatoire des sciences et techniques (OST). Pour mesurer la progression de la Chine, il suffit de rappeler que, selon l'OST, elle n'occupait en 2001 que le sixième rang.

« L'élève dépasse le maître »

« Il ne faut pas se tromper dans l'interprétation de ces chiffres, souligne toutefois Ghislaine Filliatreau, directrice de l'OST. Ils ne représentent que des parts et montrent avant tout qu'il y a de nouveaux entrants dans le monde de la recherche. » La Chine est le pont le plus avancé de ce que dans le jargon on appelle la zone Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine). De grands pays auxquels s'ajoutent notamment la Corée du Sud et la Turquie.

« Les nanosciences chinoises ont tiré profit des programmes spatiaux lancés dans les années 1970 par le régime communiste. Ils ont créé récemment d'immenses pôles de recherche (des « laboratoires clés » selon la terminologie chinoise). Ils ont su se montrer modestes et ont invité à prix d'or les meilleurs scientifiques américains et européens pour former leurs propres chercheurs, explique Vincent Mangematin, du laboratoire d'économie appliquée de Grenoble (Inra-université de Grenoble). Aujourd'hui, l'élève dépasse le maître, les Occidentaux se font peu à peu virer. »

Dans les années à venir, une nouvelle étape devrait rapidement être franchie. Les chercheurs chinois vont investir massivement les différentes communautés scientifiques et ils seront alors en mesure de changer à leur profit les institutions scientifiques, actuellement entre les mains des américains. « Ils vont réussir ce que les Européens ne sont pas parvenus à faire », estime Vincent Mangematin, qui anime un observatoire des nanosciences et publie une lettre mensuelle (www.nanotrendchart.com).

Qualité des réseaux

L'influence scientifique d'un pays ne se mesure pas par le nombre total de publications mais par un indice d'impact qui prend en compte la notoriété des revues dans lesquelles paraissent les articles ainsi que le nombre total de citations des articles pendant deux ans. C'est pourquoi sur ces indicateurs, la recherche chinoise est encore loin des États-Unis, qui dominent toujours largement la scène mondiale, selon l'OST, avec un indice d'impact de 1,40 (chiffres 2006). Loin derrière, l'Europe a un indice d'impact proche de 0,95 (0,93 pour la France), contre 0,66 pour la Chine.

« Il n'y a pas de modèle unique pour l'organisation de la recherche, note Ghislaine Filliatreau. Il y a des équilibres à trouver entre le secteur privé et le secteur public. La connaissance doit circuler et être bien exploitée pour générer ensuite de nouvelles recherches. Dans les milieux de la R & D (recherche et développement), on insiste avant tout sur la qualité des réseaux. »

On peut être surpris d'apprendre que le secteur privé chinois investit dans la recherche. En 2005, selon l'OST, le secteur privé a financé 69,6 % des dépenses de R & D des États-Unis et 68,3 % en Chine, contre 62,8 % dans l'Union européenne. Entre 2000 et 2005, ce taux a augmenté de 8 % dans l'UE contre 166 % en Chine).

La démographie de la recherche chinoise est aussi impressionnante : entre 2000 et 2005, le nombre de chercheurs a augmenté de 61 % en Chine contre 17 % dans l'UE, soit deux fois plus qu'aux États-Unis (+ 8 %) ou au Japon. Enfin, les étudiants chinois représentent la plus grande part des étudiants étrangers dans la triade - Union européenne, États-Unis et Japon.


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