Modeste comme un visiteur du continent à Hongkong la riche, collectionneur émérite et érudit respecté des spécialistes internationaux, Mr. Kot See For incarne l'histoire mouvementée de la Chine au XXe siècle.
Il faut contourner le « peak » de Hongkong et suivre les méandres de pirate de cette drôle d'île au parfum encore si anglais, avant d'arriver de l'autre côté des cimes, au pied de l'immense building adossé à la pente, sorte de géant moderne qui regarde l'eau scintillante et prometteuse de la baie, anse naturelle abritée du large comme le miracle du navigateur. Là, il faut montrer patte blanche et tapoter quelques codes confidentiels avant d'arriver à l'étage vertigineux où deux appartements de villégiature ont été transformés en salles d'exposition muséale. Derrière la porte blindée, un petit homme discret, souriant, d'une affabilité complètement désarmante, un savant d'une modestie foncière à quelques années-lumière du snobisme glacial et tranchant qui demeure dans cette ancienne colonie britannique où les enfants de bonne famille portent cravates pour le thé et ont l'accent impeccablement forgé en Angleterre dans les meilleures boarding schools.
Petit costume sombre sans grâce particulière, cheveux gris lissés en arrière et oeil plein de bonté, Mr. Kot See For a tout du professeur comme on le rêve, passionné comme un jeune homme, partageur comme un capitaine, heureux de s'épancher comme un amoureux. Son épouse lui ressemble, qui vient vous saluer en petite souris avant de se retirer sans un bruit pour préparer le thé vert.
« Fier d'être chinois »
Sur les tables basses, d'épaisses serviettes éponge bleu pâle indiquent que vous êtes entrés dans le royaume du délicat, des merveilles dignes de l'Empereur qui se manient avec des gants, en retirant ses bagues, et que des siècles d'amour érudit ont protégé des chocs, des griffures, des agressions vandales. Partout, des vitrines aussi peu seyantes que celles que l'on voyait dans les musées de l'Allemagne de l'Est, fonctionnelles, sûres, sévères comme la nécessité. Sous les tables, des étuis de toutes tailles, recouverts de tissus chinois. Et dans la lumière douce des projecteurs, un trésor bleu-blanc en céramique qui éblouit par sa beauté, sa fantaisie et sa multitude.
« Tout a commencé avec mon père, lettré natif du Setchuan, installé à Pékin puis à Shanghaï, éditeur d'un magazine culturel bien avant les années Mao. Dans les années 1940, il vint à Hongkong pour affaires. L'histoire de la Chine l'obligea à rester là, malgré lui, avec ses plus jeunes enfants. J'étais son fils aîné, j'allais à l'université, je suis donc resté enfermé avec ma soeur en Chine populaire. J'ai tout vécu, la Révolution culturelle, le travail à l'usine de machines pendant vingt ans - vous n'aviez pas le choix, vous remplissiez la fonction qui vous était désignée -, la famille coupée en deux, l'oblitération de l'histoire impériale de la Chine. Je n'ai plus vu mon père pendant plus de 30 ans. Pendant huit ans, je n'ai plus eu aucun contact possible avec lui, pas même de correspondance. Je ne l'ai rejoint à Hongkong qu'en 1982. Je venais d'un pays où l'État organisait tout. J'ai détesté tout d'abord cette liberté totale, cette étrangeté de l'individu, ce rythme de vie si différent. Je voulais retourner à Shanghaï auprès de ma femme, restée avec ma grand-mère paternelle. Elle n'a pu me rejoindre que dix ans plus tard », raconte sans aucune acrimonie cet homme dont le destin épouse l'histoire contemporaine dans toute sa cruauté. « Fier d'être chinois », il veut aujourd'hui que la collection familiale - un empire de millionnaire de quelque 700 pièces, dont 90 % de provenance impériale, trésor sans équivalent en Chine - serve la gloire retrouvée et la culture patrimoniale de son pays natal.
« Mon père avait d'abord collectionné les peintures classiques à l'encre, avant de se passionner pour les céramiques des dynasties Yuan (1279-1368) à Qing (1644-1911). Il a voulu que je me consacre à l'étude et au catalogage de cette collection qui comptait alors 163 pièces, dont 4 seulement de la dynastie Yuan contre 27 aujourd'hui. Au début, j'avais peur de les toucher. Je n'avais jamais eu en main quelque chose qui avait autant de valeur. Mon père m'emmenait aux ventes aux enchères. Je n'osais pas me gratter la tête de peur qu'on m'attribue une enchère à 10 000 dollars de Hongkong ! Aujourd'hui, je ne me lasse pas d'apprendre, d'assister à toutes les conférences, de lire tous les catalogues de musées, d'éplucher ceux des maisons de ventes françaises, américaines ou anglaises, de recevoir les sommités du monde entier, de les écouter, de les regarder observer les pièces. Je suis heureux de montrer à mon pays toute la beauté de son histoire. »
Les dates de Mister Kot See For
Duponchelle, Valérie
1901 Naissance dans le Setchuan de son père, grand lettré et éditeur de presse avant le règne de la Chine populaire (1949) et de la Révolution culturelle (1965).
1931 Naissance de Mister Kot See For à Pékin.
1940 Son père quitte Shanghaï pour Hongkong.
1982 Rejoint son père et prend en charge l'étude de sa collection de céramiques.
1987 Le Museum of Arts de Hongkong expose cette «Tianminlou Collection », trésor d'une fondation privée.
1992 Son père meurt.
1996 Pour son inauguration, le Musée de Shanghaï expose sa collection de céramiques blanc-bleu.
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