La secrétaire d'État ouvre aujourd'hui un dialogue qu'elle souhaite élargir à la sphère politique, tandis que les autorités chinoises s'inquiètent du protectionnisme américain.
À PÉKIN, on aime à l'évidence entendre évoquer cette idée un brin excessive mais flatteuse d'un G2, une sorte de condominium sino-américain pour gérer les affaires du monde. Si on n'en est pas là, l'intrication extrême des intérêts économiques entre les deux pays et le poids diplomatique croissant de la Chine ont considérablement densifié les relations pendant l'ère Bush. Hillary Clinton arrive donc aujourd'hui en Chine pour une visite deux jours, attendue comme l'invitée de marque de l'année, la messagère d'un nouveau président américain dont on ne sait pas grand-chose.
Les dirigeants chinois n'ont qu'un mot à la bouche, la « continuité ». Rien ne leur irait mieux que la poursuite du duo Hu Jintao-George Bush. Les deux hommes se connaissaient bien, savaient se parler... et parlaient surtout économie, ce qui convenait à Pékin. Or, Hillary Clinton a fustigé cette polarisation économique. Elle affiche sa volonté d'élargir le champ du dialogue en le ramenant vers la sphère politique, vers les questions de sécurité comme le problème du réchauffement climatique. Et les droits de l'homme.
Reprise de la coopération militaire bilatérale
La Chine a bien compris le message, multipliant ces derniers jours des signaux positifs. Hier, le ministère chinois des Affaires étrangères a fait savoir que Pékin était prêt à « travailler avec les États-Unis » pour réaliser des « progrès concrets » sur la question vitale du réchauffement climatique. La secrétaire d'État a d'ailleurs emmené avec elle son émissaire spécial sur le sujet, Todd Stern.
Sur le volet stratégique, la presse chinoise a affirmé que Pékin et Washington allaient reprendre dans les semaines qui viennent une coopération militaire bilatérale suspendue l'an dernier par la Chine pour cause de nouvelles ventes d'armes à Taïwan. Des discussions devraient avoir lieu dans le sillage de la visite de Hillary Clinton, les 27 et 28 février à Pékin. Le Pentagone a confirmé une « invitation » des militaires chinois. Selon l'amiral Timothy Keating, commandant américain pour le Pacifique, les deux pays travaillaient à un accord permettant d'éviter toute confrontation navale accidentelle.
Mais l'économie restera au coeur de la relation sino-américaine, et les risques de frictions sont dans ce domaine beaucoup plus importants que sur Taïwan ou toute autre question géopolitique. Pékin redoute une dérive protectionniste de l'Administration démocrate. Lundi, le ministère du Commerce chinois s'est dit « profondément inquiet » face aux « mesures protectionnistes » contenues notamment dans le plan de relance américain. C'est peut-être pour exprimer une mauvaise humeur face au « Buy American » que des rumeurs - démenties ensuite - ont filtré à Pékin sur une éventuelle glissade du yuan face au dollar. La visite de Hillary Clinton est d'abord un tour de chauffe, et comme le dit Shi Yinhong, professeur de relations internationales à l'Université du peuple de Pékin, « les contentieux seront sans doute laissés de côté pour la prochaine fois ». Le fait que Mme Clinton ait choisi d'aller en Asie maintenant, tandis que le Département d'État n'est pas finalisé - il n'y a pas d'ambassadeur à Pékin, de nombreux officiels sont partis ou en train de partir et leurs remplaçants ne sont pas encore en place - montre qu'elle est déterminée à revendiquer l'Asie comme son propre territoire. Hillary Clinton apporte aux relations sino-américaines un esprit d'ouverture et la volonté de proposer une nouvelle architecture. Tandis qu'une myriade de questions se profile, il importe à ses yeux de trouver un terrain d'entente pour les deux pays, afin de renforcer cette relation bilatérale essentielle. Paradoxalement, le défi du changement climatique est un excellent point de départ. Le gouvernement chinois ne devrait pas sous-estimer l'engagement de Mme Clinton et d'Obama à ce propos. Celle-ci l'a exprimé lors d'un discours à l'Asia Society à New York avant son départ : « Collaborer à la production d'énergie propre et de manière toujours plus efficace nous donne l'occasion d'approfondir l'ensemble des relations sino-américaines. » Reconnaissant publiquement que les États-Unis sont les plus forts émetteurs de gaz à effet de serre, Mme Clinton a aussi affirmé que son pays devait montrer l'exemple en réduisant les émissions nocives et en développant une économie faible en carbone. Voilà bien longtemps que la Chine souhaitait l'entendre dire. Elle a ainsi planté le décor d'une éventuelle collaboration avec la Chine dont le coeur n'est autre que le changement climatique. La réceptivité des Chinois à ce sujet reflétera le degré d'avancement de ce pays, entre la théorie et la pratique, tout en permettant de stabiliser la relation des deux pays. Jusqu'à présent, les Chinois ont adopté une attitude attentiste, puisque les officiels souhaitaient savoir quels émissaires Obama leur enverrait et ce qu'ils leur diraient. Leur prudence est compréhensible. Mais la Chine ne semblait pas avoir pris conscience d'une chose : l'arrivée de ce nouveau président dégage un flux d'énergie totalement inédit. En fait de Chine, Mme Clinton et Obama sont yizhang baizhi, « une feuille de papier vierge ». Avec la secrétaire d'État à Pékin, l'heure est venue d'esquisser un avenir sino-américain de manière prévenante et mûrement réfléchie. Dans son discours, elle a cité un vieil aphorisme chinois prêté à Tongchuan Gon : « Si vous êtes sur un même bateau, traversez le fleuve ensemble pacifiquement. » Cet aphorisme fait référence à un ancien épisode dans lequel des soldats des États en guerre Wu et Yue se retrouvèrent sur le même bateau pour traverser un fleuve durant une tempête et acceptèrent de baisser les armes. La métaphore est judicieuse étant donné la situation dans laquelle les États-Unis et la Chine se trouvent à l'heure actuelle : sur une planète dangereusement réchauffée par le progrès effréné. Il est inévitable et justifié que Hillary Clinton aborde le Tibet, les droits de l'homme et d'autres sources de différends. Mais il semble évident qu'elle souhaite le faire dans le contexte d'une nouvelle relation sino-américaine, plaçant la collaboration au coeur de ses préoccupations. Les dirigeants chinois seraient mal avisés de considérer le changement climatique comme une question subsidiaire, un problème posé aux pays en voie de développement tels que la Chine afin de bloquer leur développement économique. La Chine devra répondre à l'appel de Mme Clinton pour collaborer. Cela signifierait un changement radical dans les relations sino-américaines, à l'image du front uni contre l'Union soviétique lorsque Richard Nixon et Henry Kissinger allèrent en Chine en 1972 pour entamer une normalisation de leurs relations. En étudiant ce sujet fondamental, les dirigeants chinois devraient aussi mesurer la malléabilité actuelle de la politique étrangère des États-Unis. Même s'ils ont coutume de voir ceux-ci comme une grande puissance dominatrice et bien souvent critique à leur égard, la réalité est différente aujourd'hui. Les États-Unis entament en effet un chapitre totalement nouveau de leur histoire, avec une nouvelle Administration. Ainsi que Deng Xiaoping l'a si fameusement écrit dans ses notes sur la réforme en Chine, dans les années 1980 : « Nous sentons que nous remontons le fleuve sur des rochers. » © 2009 Le Figaro. Tous droits réservés.
Le « new deal » de Hillary Clinton à Pékin
Illustration(s) :
Avant Pékin, Hillary Clinton était hier à Séoul où elle a été chaleureusement accueillie par une foule de manifestants dénonçant la menace que fait peser la Corée du Nord sur leur pays.
Jo Yong-Hak/Reuters
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