lundi 16 février 2009

PORTRAIT - Lang Lang, le phénomène devient artiste

La Croix, no. 38283 - Culture, jeudi, 12 février 2009, p. 21

Le jeune pianiste chinois triomphe aux quatre coins du monde. Sa virtuosité époustouflante et son sens de la communication servent désormais un véritable projet musical.

Il voulait devenir « numéro un ». Il y est parvenu. Il sillonne le monde, le public l'acclame comme une pop star. Alertés par cette notoriété inhabituelle, des fabricants d'automobile, de chaussures de sport et d'électronique l'ont choisi pour leurs campagnes publicitaires. Et le prestigieux label Deutsche Grammophon l'a très vite adopté. Ce soir, il interprétera, Salle Pleyel, le Concerto n° 1 de Mendel ssohn avec le formidable orchestre du Gewandhaus de Leipzig, dirigé par Riccardo Chailly (1). De là à considérer Lang Lang comme un pur objet marketing, un pianiste pour midinettes, il n'y a qu'un pas que la France n'a pas hésité à franchir, l'accueillant souvent par de vertes critiques. Ses premières apparitions révélèrent il est vrai une subjectivité envahissante et une sensiblerie sucrée qui rendaient Rachmaninov écoeurant.


Lang Lang ne serait-il qu'un énième acrobate comme la Chine sait en produire en quantité industrielle ? Non, car à bientôt 27 ans, l'artiste n'a plus rien du singe savant qui remportait à 5 ans son premier concours et accumulait ensuite les trophées comme autant de victoires sportives. Son style a mûri, s'est discipliné. Son enregistrement récent des concertos de Chopin (2) en témoigne : son jeu a conservé spontanéité et couleurs mais il a appris à dominer une passion débordante. Très conscient de son image, Lang Lang veut la mettre au service de la musique. « J'ai pour mission de faire connaître les beautés de ce répertoire au plus grand nombre, notamment aux jeunes qui ne reçoivent plus aujourd'hui la moindre éducation musicale à l'école. C'est dramatique. » Aussi n'hésite-t-il pas à utiliser tous les moyens de communication, la télévision notamment (il participait à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin) pour faire entendre Mozart, Beethoven ou Brahms.

Son parcours, raconté sur un ton parfois naïf mais sincère dans son autobiographie (3), aurait pourtant eu de quoi le détourner à jamais de la musique. Fils unique d'artistes contrariés par la Révolution culturelle, Lang Lang a supporté les espoirs d'un père frustré devenu tyrannique. Six, sept, huit heures de piano quotidiennes dans un système éducatif et social entièrement fondé sur la compétition. Ce père abandonne tout pour accomplir le destin de ce nouveau Mozart, la mère nourrissant la famille. Il l'accompagne d'abord à Pékin pour parfaire sa formation et travailler sans relâche dans un logement misérable. Les distinctions commencent à s'additionner en Chine, puis en Allemagne et au Japon.

« Mais qui peut s'intéresser à un pianiste chinois inconnu de 16 ans ? » se souvient Lang Lang. Il faut aller en Amérique où il rêve de Carnegie Hall. Intégré au prestigieux Curtis Institute de Philadelphie, instruit par Gary Graffman, un ancien élève d'Horowitz, il connaît la gloire en remplaçant un pianiste malade au festival en plein air de Ravinia (Illinois). Trente mille spectateurs applaudissent son Concerto n° 1 de Tchaïkovski. Les plus grands orchestres l'invitent... Le prodige aurait pu s'en satisfaire et voguer sur les flots du succès planétaire. Mais l'artiste se montre plus exigeant et ne cesse d'apprendre, notamment auprès de Daniel Barenboim. « J'aime découvrir de nouvelles oeuvres, mieux connaître des compositeurs. » Perfectionniste mais, en outre, ambassadeur de l'Unicef, concerné par l'environnement. Un type bien.

VENTURINI Philippe

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