Libération, no. 8636 - Ecrans, mercredi, 11 février 2009, p. 34
CCTV s'apprête à lancer de par le monde sa propre chaîne d'info en continu, instrument de propagande pour le Parti communiste chinois.
L'affaire de la chaussure lancée lundi à la tête du Premier ministre chinois Wen Jiabao à l'université de Cambridge, en Grande-Bretagne, a fait le tour de monde en quelques heures. Partout sauf en Chine, dont les médias, tous contrôlés par l'Etat, n'ont évoqué l'affront qu'après vingt-quatre heures. La CCTV (Chinese Central Television) n'a cité ce grave incident diplomatique que dans son journal de mardi, accompagné des plates excuses britanniques. Les journaux ont suivi le lendemain, et en rajoutent depuis, en détaillant la profonde mortification du Premier ministre britannique Gordon Brown.
Dépêches. Il y a moins de quinze jours, la même CCTV avait fait preuve de réflexe, censurant en direct le discours d'investiture de Barack Obama. Une phrase où seule la Chine pouvait se reconnaître : «Les générations précédentes ont affronté le fascisme et le communisme... avec des alliances solides et des convictions fortes.» Au mot «communisme» la voix du traducteur s'est tue, et le président américain a été remplacé par une animatrice en plateau. La machine à propagande reste très performante. La Chine envisage de l'exporter, ainsi que son modèle communiste. Le PCC (Parti communiste chinois), indifférent à la crise internationale qui frappe l'ensemble des médias dans le monde, se prépare en effet à investir rien moins que 45 milliards de yuans (soit 5 milliards d'euros) dans le développement de ses médias en Occident (quand, à titre de comparaison, la CNN à la française France 24 a démarré avec un budget de 80 millions d'euros). L'agence Chine Nouvelle, principale pourvoyeuse de dépêches officielles, pourrait ouvrir de nouveaux bureaux à l'étranger, ainsi que l'organe du Parti, l'indétrônable Quotidien du peuple. La puissante CCTV, qui dispose déjà de chaînes en français, anglais, et espagnol, devrait lancer une CNN à la chinoise, disponible partout en anglais, peut-être à l'automne. La chaîne fonctionnera vingt-quatre heures sur vingt-quatre, grâce à des correspondants dans le monde entier. «Nous ne nous soucions pas de l'argent, nous en avons», a confié un responsable de la chaîne de télévision nationale à l'AFP. La florissante CCTV (10 000 employés, 1 milliard d'euros de recettes publicitaires annuelles, reçue par 96 % des foyers chinois) inaugurera bientôt son nouveau siège, un mastodonte d'acier conçu par l'architecte néerlandais Rem Koolhaas.
Influence. Sa fonction, a rappelé le Président Hu Jintao en juin, est de «guider l'opinion publique». Ses journalistes doivent respecter à la lettre une interminable liste d'interdits, dont le premier est de ne jamais critiquer le Parti et les dirigeants. Le filtre a fonctionné automatiquement dans l'épisode du lancer de chaussure de Cambridge. Les Chinois d'outre-mer, comme on appelle ici les ressortissants de l'étranger, ont déjà accès à la CCTV dans leur langue maternelle grâce au satellite ou au câble. La nouvelle chaîne internationale est donc destinée aux téléspectateurs étrangers et à concurrencer la BBC ou CNN. Pas en terme économique, mais en terme d'influence. Au programme, il y a surtout la promotion du Parti communiste chinois et de réussites économiques de la Chine : «Nous devons faire voir au monde entier l'image d'une nation forte et nouvelle», a récemment déclaré Li Changchun, responsable chargé de l'idéologie cité par Chine Nouvelle, au sujet du projet de développement international des médias chinois. Ceux-ci n'ont d'ailleurs que brièvement évoqué le sujet et il est impossible de confirmer la moindre information, pourtant tout ce qu'il y a de plus officielle.Des détails n'ont été publiés qu'à Hongkong, dans le quotidien anglophone South China Morning Post. Yu Guoming, universitaire pékinois cité par le New York Times, a cependant confié qu'il avait été chargé de la faisabilité du projet, destiné à améliorer l'image de la Chine dans le monde.Malgré les Jeux olympiques, celle-ci aurait chuté de six points ces derniers mois, à 39 % d'opinions favorables, selon une enquête menée récemment par l'université du Maryland dans 21 pays. La Chine, qui ne cesse de dénoncer «les médias étrangers biaisés», veut contrôler sa popularité. Reste à savoir si la prochaine chaîne internationale trouvera un public. Et qu'en sera-t-il en cas de lancer de chaussure contre Bao Bao, l'affectueux surnom donné au Premier ministre ?
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